Il trouva le commentaire « assez vexant ». Jeudi dernier, 22 juin, notre consœur du Luxemburger Wort, Marie-Laure Rolland, n’avait pourtant fait que poser la question qui s’imposa : pourquoi est-ce si long d’élaborer ce Plan de développement culturel (PDC) pourtant prévu dans l’accord de coalition DP/LSAP/Verts de décembre 2013, alors que le sauvetage des banques dans la foulée de la crise financière de 2008 n’avait pris qu’une nuit ? « Ce n’est pas comparable », rétorqua, agacé, le secrétaire d’État à la Culture Guy Arendt (DP), que pour sauver les banques, il avait suffi de trouver l’argent nécessaire, mais que la culture, c’était autrement plus complexe. L’ancien maire de Walferdange perd la contenance à chaque fois qu’on fait allusion à son passé d’avocat d’affaires et donc de représentant du monde des finances, alors que depuis son arrivée boulevard Roosevelt, il ne voudrait plus être interrogé que sur les choses de l’esprit.
Jeudi dernier, Guy Arendt et Jo Kox, responsable du suivi des premières Assises culturelles qui se sont tenues il y a un an exactement au Grand Théâtre, ont fait le bilan de l’année écoulée et des 23 « ateliers du jeudi » organisés autour d’une douzaine de thèmes. Ils ont fait ce bilan d’abord devant les députés de la commission de la Culture, puis devant la presse. Demain, samedi 1er juillet, un plus large public sera convié au Mierscher Kulturhaus pour une présentation détaillée ; la transparence tenant très à cœur du ministère de la Culture. « Nous n’avons pas voulu parler d’argent, mais seulement de contenus », souligna Jo Kox, qui se définit lui-même comme « agitateur culturel » lors de cette conférence de presse. Guy Arendt évoqua la feuille de route pour la suite : en juillet 2018 auront lieu les deuxièmes Assises culturelles, où sera présenté un texte martyr d’un PDC, qui sera alors ouvert à discussion et amendé avant d’être adopté au courant de l’année. Soit, avec un peu de chance, juste avant les élections législatives d’octobre.
Si cela prend si longtemps, insista le secrétaire d’État, c’est parce que « pendant trente ans, rien n’a été fait » dans ce domaine. Ce qui est une position anhistorique, faisant abstraction des tonnes de papiers qui ont été produites au ministère, grosso modo depuis Robert Krieps, ministre socialiste de la Culture de 1984 à 1989. Mais même avant Krieps et sa décentralisation culturelle, le ministère « des affaires culturelles » avait publié un relevé de La vie culturelle au Luxembourg (Service information et presse, 1977). En 1998, Erna Hennicot-Schoepges (CSV) avait fait réaliser un Livre blanc de l’infrastructure culturelle au Luxembourg et les deux années culturelles, de 1995 et 2007, ont à chaque fois été suivies de gros rapports d’experts sur les forces et les faiblesses du secteur culturel au grand-duché. Les projets de loi sur les institutions culturelles (2004), sur les différentes nouvelles infrastructures culturelles (Mudam, Rockhal, Philharmonie…), voire sur le statut de l’artiste (1999, 2014) ont tous été accompagnés de longs argumentaires sur la nécessité de ces lois, dans les exposés des motifs et lors des débats au parlement. Ce n’est donc pas comme « rien » n’avait été fait. Mais soit le ministère de la Culture n’a pas de mémoire, soit ses responsables politiques ignorent volontiers cette histoire. Durant cette première année de travail, Jo Kox fut donc moins un « agitateur » qu’un bénédictin, muni d’un endoscope : s’il a compilé ces gros tas de documents et consulté tout le monde, c’était aussi pour faire un état des lieux.
Le ministre Xavier Bettel (DP) et son secrétaire d’État risquent de se voir reprocher demain, lors de la réunion à Mersch, que le processus, pour participatif qu’il se veuille, n’est que de la poudre aux yeux du secteur culturel. Car rien de concret n’est encore sorti des centaines d’heures de préparations, discussions, concertations et débats réunissant des douzaines de professionnels pendant des heures et des jours entiers. Même le plus ignorant dans la dernière rangée d’une des salles où se tinrent ces débats aura compris qu’une des premières revendications, tous secteurs confondus, était la mise en place, par le ministère de la Culture, d’une sorte de « bureau export » pour toutes les disciplines. Pourquoi Bettel et Arendt n’ont-ils pas décidé la création de cet organe, comme il est de leur pouvoir ? En 2009 a ainsi été créé Music:LX œuvrant à l’export de la musique luxembourgeois, sur la simple volonté du responsable du ministère de l’époque, Bob Krieps (LSAP), dont la musique était le dada. Il avait fait venir, à grands frais, Patrice Hourbette pour la diriger. L’asbl, qui est toujours présidée par Krieps lui-même, bénéficie de 550 000 euros de subventions annuelles de la part de l’État et occupe cinq personnes. Les responsables politiques auraient pu développer cette structure ou la copier, mettre un ou deux millions d’euros pour commencer et beaucoup de choses auraient déjà été concrètement améliorées pour les artistes. Jo Kox a d’ailleurs fait des recherches sur de telles structures de soutien à l’étranger, Pro Helvetia ou l’Institut français. Il suffirait de faire maintenant, de dépasser l’effet d’annonce. La même chose vaut pour l’hypothétique Galerie d’art luxembourgeois, qui est l’arlésienne de la mandature Bettel, ou une augmentation du budget consacré à la Culture au-delà des 0,88 pour cent actuels du budget général. Just do it !