L’UE et Ukraine

La priorité est l’aide financière et la stabilité politique

d'Lëtzebuerger Land du 28.02.2014

Après le brusque tournant qu’a pris l’Ukraine à la fin de semaine dernière, l’UE est dans une position prudente se refusant à évoquer la perspective d’une adhésion. La chute du régime de Viktor Ianoukovitch le 22 février née de la révolte populaire déçue du choix pro-russe de ce gouvernement a pris un peu de court l’UE.

Les députés ukrainiens ont remédié à la vacance du pouvoir en votant une résolution qui nomme le président du Parlement ukrainien, Olexandre Tourtchinov, un proche de l’opposante Ioulia Timochenko comme président par intérim du pays, conformément à la Constitution. Une élection présidentielle anticipée a été fixée au 25 mai. Mercredi soir, le nouveau gouvernement de transition, qui sera en place jusqu’aux élections, a été présenté devant le peuple réuni place Maïdan à Kiev, cette place de l’Indépendance, haut lieu des manifestations contre le précédent pouvoir. Après cet adoubement populaire, le Parlement a entériné ces nominations le lendemain.

Arseni Iatseniouk, un « banquier intellectuel » de trente-neuf ans, ancien ministre de l’Économie (2005-2006) et des Affaires étrangères (2007) a été désigné comme premier ministre. L’ancien ministre et ancien vice-président de la banque centrale Alexandre Chlapak sera ministre des Finances et l’ancien ambassadeur en Finlande et en Islande Andriy Dechtchitsia sera affecté aux Affaires étrangères. Ces nominations stratégiques devraient rasséréner les investisseurs dont le pays a besoin pour redresser sa situation financière désastreuse. La seule dette extérieure de l’Ukraine se monte à 180 pourcent de son PIB et représente une charge annuelle de treize milliards de dollars.

C’est la première des priorités pour ce gouvernement par interim. La monnaie nationale (la hryvnia) a perdu 18 pour cent en un mois et le Iouri Kolobov, qui assurait l’interim aux finances, a évalué lundi les besoins du pays à 35 milliards de dollars en 2014- 2015. En début de semaine, le pouvoir provisoire a demandé à ses « partenaires occidentaux (Pologne, États-Unis) l’octroi d’un crédit d’ici à une semaine ou deux » et suggéré l’organisation d’une « grande conférence internationale de donateurs ».

« Tous nos moyens sont mobilisés », a répondu un porte-parole de la Commission, lundi. Stefan Füle, le commissaire à l’élargissement et au voisinage, a entamé des discussions avec les dirigeants de la Banque européenne de reconstruction et de développement (BERD). La haute représentante de l’UE pour les affaires étrangères, Catherine Ashton a mentionné un travail « en coordination avec le FMI »mais s’est refusée à évoquer un quelconque montant sur lequel s’engagerait l’Europe. L’UE tient avant tout à éviter l’escalade de la crise tant diplomatique qu’économique. Elle veut ménager la Russie dont elle a obtenu de ne pas intervenir dans la crise : « elle doit maintenant éviter de la provoquer » explique un diplomate. Même si de son coté Moscou « montre les muscles » en organisant, le 26 février, des inspections de troupes massées à la frontière de Crimée, majoritairement russophone. De plus, deux grandes banques russes, VTB et Sberbank, ont suspendu les prêts à l’Ukraine. Et Moscou n’a versé que cinq milliards de dollars sur les vingt promis à l’Ukraine en novembre dernier pour la faire dévier de l’option d’un partenariat économique avec l’UE.

La Russie qui redoute la perte d’un allier de poids et un glissement de l’Ukraine vers l’Occident refuse en effet de reconnaître la légitimité de ce futur gouvernement et pointe les « méthodes dictatoriales » du nouveau pouvoir. Sergueï Lavrov, son ministre des Affaires étrangères, a estimé que la tenue d’une élection présidentielle anticipée le 25 mai, allait à l’encontre de l’accord de sortie de crise signé la semaine dernière et qui stipule que cette élection ne pourra avoir lieu qu’après une réforme constitutionnelle, prévue d’ici septembre. L’UE ne doit donc pas braquer la Russie qui devra d’une manière ou d’une autre être associée à ce programme de financement.

Cette priorité de sauvetage économique et sa sensibilité diplomatique a été exprimée par le ministre allemand des Affaires étrangères, Frank-Walter Steinmeier : « une Ukraine en faillite serait un poids trop lourd, aussi bien pour son grand voisin de l’est (la Russie, Ndlr) que pour l’UE ». Il doit se rendre à Washington, au FMI pour étudier comment débloquer rapidement douze milliards de dollars

Aussi, l’UE s’attache à ménager la Russie et à éviter la faillite du pays avant d’aborder la question d’une adhésion. « Nous entendons l’aspiration européenne des Ukrainiens, nous sommes prêts à la soutenir », a affirmé lundi le porte-parole de la Commission européenne, Olivier Bailly. « L’accord de commerce et d’investissement que nous avons proposé est toujours sur la table », a-t-il ajouté « Nous en discuterons avec le prochain gouvernement légitime issu des élections ».

Le Parlement européen dans une résolution adoptée le 27 février réclame outre le soutien financier à court terme complété par un paquet à plus long terme, un dialogue constructif entre les forces politiques pour permettre des élections libres et équitables. Il demande aussi que soit envisagé, dès que la crise politique sera résolue, un accord d’association et un accord commercial avec l’Ukraine. Cependant, un « partenariat ne constitue pas l’objectif final de la coopération UE-Ukraine », précise le texte.

Sophie Mosca
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