Facebook

Les robots avancent

d'Lëtzebuerger Land du 22.04.2016

Fort de l’impressionnante part du gateau publicitaire en ligne qu’il a réussi à se tailler et de son insolente capitalisation boursière, Facebook a présenté ses perspectives de développement sur dix ans en faisant jouer ses muscles lors d’un événement baptisé F8 la semaine dernière à San Francisco. Tout y est passé, intelligence artificielle, réalité augmentée, vidéo streaming, l’avenir selon Mark Zuckerberg sera plus connecté et plus virtualisé que jamais. Les commentateurs ont surtout retenu le rôle croissant que des robots vont jouer dans les interactions des utilisateurs de Facebook à l’avenir. Pour savoir le temps qu’il fera, c’est un robot prenant les allures d’un chat qui répondra à vos interrogations sur un mode de conversation naturelle. Commander des fleurs depuis Messenger : là aussi, une machine douée d’intelligence artificielle engagera le dialogue avec vous pour rapprocher l’acte d’un échange humain tel qu’il pourrait se dérouler chez le fleuriste. À quoi ressemble le trafic sur son trajet ? Au lieu de consulter une carte mise à jour en temps réel, c’est un robot qui nous renseignera comme si nous bavardions avec un collègue qui viendrait de traverser les mêmes banlieues et parlerait d’expérience. C’est le paradoxe de l’intelligence artificielle : le surcroît de capacité dʼinterprétation de notre comportement et de nos désirs est censé simuler davantage d’humain là où il y aura de plus en plus de machine.

Ces robots représentent une rupture assez conséquente avec le modèle de développement du web et des réseaux sociaux auquel nous avons assisté jusqu’ici. Au lieu de nous faire passer par des apps ou par le web, Facebook souhaite nous fixer dans notre messagerie, suggérant que nous nous y adressions directement à des machines répondant, mieux que nos amis, à nos interrogations et à nos besoins. Une perspective quelque peu glaçante mais qui ne doit pas nous surprendre. Dans l’univers envisagé par Mark Zuckerberg, nos amis n’auront pas le temps d’interagir avec nous autant qu’il le faudra pour permettre à sa plateforme de tourner à plein régime et nous plonger dans une expérience « riche ». Les robots vont donc devenir les points d’entrée pour nos interactions avec les entreprises. Mais au lieu de le faire au téléphone avec la lourdeur d’arborescences rigides, ils le feront dans Messenger sur un mode de langage naturel, plaisanteries et clins d’œil compris.

À l’appui de cette perspective qui accorde une importance croissante à Messenger, il y a son remarquable succès de ces derniers mois. La messagerie de Facebook serait utilisée par un milliard de personnes, et Facebook indique même recenser 1,6 milliard d’utilisateurs actifs chaque mois. Au moins partiellement détaché du réseau social, ce qui lui donne un caractère plus agnostique, Messenger est aussi ouvert aux travaux d’autres développeurs, Facebook partageant largement le code de ses interfaces pour les encourager à concevoir des applications natives dans Messenger. Dans l’avenir dessiné par Facebook, d’ici quelques années, les bots se confondront avec nos amis – nous aurons peut-être même du mal à les distinguer.

Comment se traduira l’avènement de ces robots sur les différents marché du travail ? Peut-on imaginer que la mise au point des robots absorbe au moins une partie de la main d’œuvre utilisée aujourd’hui pour des interactions effectuées par des humains ? Est-ce la fin programmée des plateformes d’appel dans les pays émergents, de l’Inde au Maroc ? Est-ce aussi la fin du marché du travail pour les armées de développeurs qui mettent au point des applications destinées à faciliter nos interactions avec les services après-vente ? Ce n’est pas le souci premier de Facebook…

Jean Lasar
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