Art contemporain

Éloge du peu

Le vide au Casino
Photo: Trash Picture Company
d'Lëtzebuerger Land du 25.01.2019

Qui peut le plus peut le moins. Telle pourrait être la devise de l’exposition Buveurs de quintessences qui vient de commencer au Casino Luxembourg – Forum d’art contemporain, en collaboration avec la Fonderie Darling de Montréal, qui est, rappelons-le ici, partenaire du Casino pour des expositions d’artistes luxembourgeois et, avec le Focuna, d’une résidence pour les artistes luxembourgeois au Québec. D’un abord austère, l’exposition se révèle en fait riche de sensations, pour peu que le visiteur s’ouvre à l’expérience sensorielle et corporelle.

Sous le commissariat de Caroline Andrieux, directrice artistique de la Fonderie Darling, les œuvres exposées célèbrent, à la base, le vide. À l’instar du titre de l’exposition, bout de phrase extrait d’un poème de Baudelaire célébrant la liberté d’expression de l’artiste à l’époque moderne. Ce fut, rappelons-le aussi, le dynamitage des codes de l’art par Marcel Duchamp, qui autorise le foisonnement des réflexions d’aujourd’hui, dont celle-ci.

Ainsi d’une œuvre de Claude Closky, 1234, qui n’est pas visible, mais audible seulement. Le Casino résonne d’un « clap, clap, clap, clap » de mains qui applaudissent. Mais un bref instant par jour seulement (pour les amateurs, à 12h34 précise). Le bruit donc, est distillé de manière homéopathique, contraire exact des bruits de fond permanents qui envahissent nos vies, à longueur de jours.

Autre exemple du travail autour du vide : une plateforme, ou mieux, une « agora », comme la décrit Thierry Davila, conservateur du Mamco de Genève, dans un des textes du catalogue. L’œuvre d’Alexandre David invite les visiteurs à s’asseoir pour méditer. Écouter son « bruit » intérieur plutôt que celui de l’extérieur… Vide en tant qu’objet d’exposition, la plateforme a aussi un but exactement contraire : quand Fortner Anderson, assurera le 31 janvier prochain, de 10h30 à 23 heures son marathon de mots, une scansion poétique inspirée par les œuvres, elle accueillera les spectateurs de la performance. Douze heures durant, soit mathématiquement, la moitié de la durée d’un jour.

L’ensemble de l’exposition oscille entre le vide et le plein, le silence et le « bruit ». Elle fait aussi appel au mouvement, à l’implication des visiteurs. On pourra certes s’installer dans les fauteuils autour du poêle où rougeoie une bûche (János Sugár, Fire in the Museum). Mais cette œuvre est en fait participative : ce sont les visiteurs qui sont appelés à ne pas laisser s’éteindre le feu, en y rajoutant une des bûches de la stère de bois empilée là. Qui donc, devrait diminuer, jusqu’à disparaître à la fin de l’exposition, le 7 avril.

Le 21 mars, entre 18h30 et 20h30, Adriana Disman défiera l’appréhension du vide, debout, en équilibre sur le tabouret de la performance Thresholding. Exemples de la peur du vide : pour le créateur, la page blanche est « la » résistance, pour tout un chacun, c’est l’endurance physique, comme la proposent Marie Cool et Fabio Balducci. De manière certes quasi invisible, avec un ruban de scotch, tendu entre des bureaux empilés. Prisonnier de longues heures par jour de son travail, on ne se rend pas plus compte de la résistance de son corps que le visiteur qui, lui, est séparé, au Casino, de la vue vers l’extérieur par le ruban ténu, translucide…

L’art épuré donc, ne signifie pas forcément abstraction ou conceptualisation. Ainsi aussi des quatre tableaux – parfaitement blancs de Stéphane Larue. Certes, il n’y a rien à regarder sur cet Écart de conduite. Mais les surfaces vides sont serties par des cadres épais, taillés en biseau. Il suffit de se déplacer devant (comme on fait d’ailleurs souvent dans une exposition ou un musée pour mieux approcher des détails d’une peinture ou voir sa texture), pour que l’accrochage devienne une œuvre non plus abstraite, mais qui a de l’épaisseur. Et cela, par le mouvement du corps du spectateur.

Cette exposition audacieuse coproduite par le Casino offre une démonstration rare : peu de moyens mis en œuvre peuvent produire des effets maximum. Ce n’est pas rien !

L’exposition Buveurs de quintessences est à voir au Casino Luxembourg – Forum d’art contemporain, rue Notre-Dame à Luxembourg-ville, jusqu’au 7 avril ; catalogue 25 euros ; ouvert du lundi au dimanche de 11 à 19 heures, nocturne le jeudi jusqu’à 23 heures ; fermé le mardi ; www.casino-luxembourg.lu

Marianne Brausch
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