Classement des entreprises les plus innovantes

Palmarès foisonnants

d'Lëtzebuerger Land du 08.02.2013

En apparence, le palmarès des 50 entreprises les plus innovantes que vient de publier pour la septième fois le BCG (Boston Consulting Group) est toujours le même. On trouve à nouveau cette année sur les deux premières marches du podium le sempiternel duo Apple et Google, dans cet ordre depuis six ans. Seule l’accession de Samsung à la troisième place apporte un peu de nouveauté par rapport au classement précédent en 2010. Mais une lecture attentive montre qu’en peu de temps des changements importants, et fort révélateurs, se sont produits. Sur les 50 entreprises classées, seulement 30 étaient déjà présentes deux ans auparavant. Le renouvellement a donc porté sur 20 sociétés, soit 40 pour cent de l’effectif. Parmi les entrées, on compte pour moitié des firmes totalement nouvelles dans le classement (comme BASF, Twitter ou Caterpillar), l’autre moitié étant composée de sociétés qui font leur retour dans un palmarès où elles ont figuré au moins une fois depuis sa création en 2005.

Les entreprises de haute technologie et de télécoms (HTT) sont toujours les plus nombreuses : 15 sur 50, et les mieux placées (sept dans le Top 10). Mais leurs positions s’effritent puisqu’elle étaient 21 dans le palmarès 2010. En mettant à part Apple et Google, qui, comme Microsoft, IBM et Sony n’ont pas quitté le Top 10 depuis l’origine, c’est le seul secteur d’activité où on peut voir des progressions très fortes (Facebook surgit au cinquième rang, gagnant 43 places, le taïwanais HTC en gagne 23, et devient 24e), mais aussi des éjections rapides : par exemple LG, Research in Motion (fabricant canadien du Blackberry), Nintendo, Nokia respectivement 7e, 14e, 20e et 23e il y a deux ans, passent à la trappe. Neuf sociétés HTT sur les 21 présentes en 2010 sont sorties du classement.

Au contraire, le nouveau palmarès montre la résilience des « industries traditionnelles », au premier rang desquelles l’automobile, qui classe dix marques (contre huit en 2010), tout en se renouvelant : Kia Motors et Nissan apparaissent pour la première fois et en bonne position (13 et 22e), Audi (25), General Motors (29) et Renault (34) reviennent, mais Honda et Fiat sortent. L’industrie des biens de consommation compte dix représentants avec l’agro-alimentaire (Coca-Cola, Anheuser-Busch), le textile (Inditex, Fast Retailing, Nike) et l’électro-ménager (Philips, Haier). Procter & Gamble et 3M sont aussi toujours là prouvant à nouveau que les secteurs « classiques » et leurs leaders ont su innover pour survivre. Une exception persistante : les groupes pharmaceutiques, au nombre de cinq en 2007, absents depuis 2009 et qui n’ont pas réapparu. Quant aux services, ils sont peu représentés (voir encadré).

Le rapport note que le palmarès est de plus en plus concentré sur quatre grands domaines d’activité qui rassemblent 47 entreprises sur 50, contre 38 en 2008. Cela dit, il estime dans le même temps qu’il est de plus en plus difficile d’affecter une entreprise à un secteur précis, car onze groupes sur les 50 peuvent être qualifiés de conglomérats (par exemple General Electric, Tata ou Samsung). Ils constituent un quart des nouvelles arrivées ou des retours. Par pays, la prééminence des États-Unis est écrasante : les sociétés américaines occupent quasiment la moitié des places (24) avec notamment six dans le Top 10, d’où les Japonais ont disparu.

La méthodologie du BCG est régulièrement mise en cause, surtout, bien entendu, par les absents du classement. Depuis 2008, le palmarès est établi à hauteur de 80 pour cent à partir des réponses à un questionnaire soumis à un vaste échantillon de cadres dirigeants (1 512 personnes), tous secteurs confondus et dans le monde entier. Pour 20 pour cent, la note dépend de critères financiers supposés traduire concrètement la puissance innovatrice de la firme (progression du chiffre d’affaires, de la marge et du cours de l’action). Mais le poids donné à la partie déclarative conduit à récompenser plutôt les entreprises ayant une image innovatrice sans que celle-ci corresponde forcément à la réalité des choses.

Les palmarès concurrents foisonnent, sans grand intérêt la plupart du temps, mais trois d’entre eux méritent qu’on s’y arrête. Le classement du magazine Forbes, dont la deuxième édition a été publiée en mai 2012, se focalise sur des critères financiers, et surtout boursiers. On part ici du principe que le meilleur juge de la capacité innovatrice d’une entreprise est en définitive l’investisseur. La méthode, développée par Credit Suisse, consiste à calculer une « prime d’innovation », définie comme le supplément de capitalisation boursière dû aux attentes des investisseurs en termes de nouveaux produits et de nouveaux marchés. Le résultat est assez curieux car on trouve sur le podium, outre Amazon (2e), deux sociétés américaines inconnues du grand public, Salesforce.com (éditeur de logiciels) et Intuitive Surgical (matériel médical). Apple est 5e, Google 6e, et Microsoft 86e, juste devant Maroc Telecom.

Thomson Reuters a une approche presqu’exclusivement technique, fondée sur les brevets, et ne se limite pas aux entreprises, prenant aussi en compte de grands organismes de recherche privés ou publics. Les brevets sont analysés à travers quatre critères, notamment leur taux de succès (proportion de brevets utilisés par rapport à ceux déposés) et leur dimension géographique. Le Top 100 Global Innovators, dont la dernière mouture date de décembre 2012, n’est pas un classement, mais une liste, qui par nature se limite à l’industrie. Elle ne manque pas de surprises : on y trouve en effet treize entreprises françaises (contre une seule, Renault, dans le palmarès BCG), une seule allemande (Siemens) et aucune chinoise, alors que la Chine est le premier déposant mondial. Deux raisons à cette anomalie apparente : le « taux de succès » des brevets chinois est faible, et les Allemands privilégient une protection limitée à l’Europe, contrairement aux Français. Amazon, Facebook et Twitter en sont absents. Un aspect financier tout de même : ces cent entreprises sur-performent de trois points l’indice S&P 500. On peut enfin citer la liste (sans classement) établie depuis 2010 par le prestigieux Massachusetts Institute of Technology : il repère les 50 entreprises les plus « perturbatrices » dans six secteurs industriels. Une disruptive company est une firme dont les innovations, par leur qualité, leur originalité et leur capacité à être mises sur le marché obligent les concurrents à modifier leurs plans stratégiques. La liste, très contestée dans la presse, comprend les six premiers du BCG, à l’exception notable de Microsoft mais aussi Dreamworks, Alcatel-Lucent et Roche.

Georges Canto
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