Chronique Internet

Microclips

d'Lëtzebuerger Land du 01.02.2013

À peine Twitter avait-il lancé son service de clips vidéo de six secondes, sous la dénomination Vine, qu’un « incident » faisait frémir les gazettes en ligne : une mini-scène pornographique avait réussi à s’immiscer parmi les clips recommandés aux utilisateurs. Peu après, l’objet du délit disparaissait des recommandations, tandis que Facebook annonçait avec force circonvolutions ne plus offrir de support pour l’application. L’application sera-t-elle retirée de l’App Store d’Apple (alors qu’en version embarquée elle n’existe pour l’instant que sur cette plateforme) ? Dans le monde des réseaux sociaux où quelques titans s’affrontent à coups d’acquisitions et d’exclusions mutuelles, c’est ainsi que se livrent désormais les grandes batailles, et il devient de plus en plus difficile de séparer le grain de l’ivraie.

Mieux vaut se demander ce que Twitter cherche à faire en lançant Vine. La brièveté des clips de Vine est un premier indice que l’application est parfaitement adaptée à l’univers de Twitter. Alors que rien n’empêche un utilisateur de Twitter de publier un lien vers une vidéo de plusieurs minutes sur Youtube ou Dailymotion, il est clair qu’un microclip se fondra bien mieux au sein d’un flux de messages de 140 caractères au plus chacun. Vine, une start-up de création récente acquise par Twitter, explique sur son site vine.co que « nous voulons qu’il soit plus facile pour les gens de se retrouver et découvrir ce qui se passe dans le monde. Nous croyons aussi que les contraintes génèrent de la créativité, ce que soit à travers un tweet de 140 caractères ou une vidéo de six secondes ». Les microclips surfent sur la vogue des « gifs animés », suite d’images intégrées dans un fichier et défilant en boucle à l’écran, que certains adoptent comme avatars.

Pour se faire une idée de ce que les gens publient sur Vine, on peut se rendre sur Vinepeek, un site indépendant de Twitter et de Vine (et dont la survie n’est donc pas assurée) qui publie à la queue-leu-leu, en temps réel, des clips de la nouvelle plateforme. Le caroussel des images est quelque peu vertigineux, mais il permet de se rendre compte à quel point Vine est le pendant naturel de Twitter, capable du meilleur comme du pire, et offre en tout cas au

voyeur qui sommeille en chacun de nous une étonnante plongée dans l’intimité et l’imaginaire de milliers d’inconnus, avec en général une bonne qualité d’image et de son. Les micro-vidéastes qui testent Vine proposent le même type de sujets que ceux qu’ils publient sur Youtube, animaux domestiques, têtes souriantes, scènes de la vie quotidienne, de vacances ou de fêtes, moments volés etc., mais en beaucoup plus court évidemment et du coup bien plus digeste.

Bien qu’acquis par Twitter, Vine est accessible indépendamment de la plateforme de micro-blogging. Les clips peuvent donc exister de manière indépendante sur d’autres plateformes puisqu’il suffit d’un lien pour y accéder – le pari de Twitter est que ce sera la sienne qui s’avérera la mieux adaptée à ce nouvel outil. Après Instagram, Tumbler, Snapchat, Pinterest, une nouvelle plateforme centrée sur l’image, animée cette fois-ci, cherche à se rendre indispensable aux fans des réseaux sociaux. Il faut reconnaître que le potentiel de la forme inventée par les fondateurs de Vine semble assez considérable. Six secondes d’images animées et de son peuvent véhiculer des messages originaux et forts, les publicitaires en savent quelque chose. Vinepeek montre que dans un premier temps, les clips mis en ligne relèvent davantage du test que du manifeste. Mais il montre aussi que le binôme Twitter-Vine est redoutable par sa portée instantanée et universelle. Ainsi, on imagine aisément ce que Vine aurait pu ajouter comme force de frappe aux réseaux sociaux lorsque ceux-ci servirent à mobiliser et à témoigner lors des printemps arabes.

Jean Lasar
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