Franck Miltgen, Response

Seul contre l’Histoire

d'Lëtzebuerger Land du 08.04.2016

Tout Neimënster ? Quelle hybris ! À 34 ans, âge limite au-delà duquel les systèmes de bourses et d’aides financières ne vous considèrent plus comme un « jeune artiste », Franck Miltgen voulait prouver la maturité de son travail, sa capacité de le faire aussi, en occupant tout le site de l’ancienne abbaye, puis prison et actuellement centre culturel et de rencontres Neimënster. Un projet qu’il porte en lui depuis des années (il l’avait déjà soumis à Claude Frisoni), et pour lequel il a travaillé durant deux mois sur place à installer les œuvres. C’est la lutte de David contre Goliath, de l’individu du XXIe siècle contre l’histoire mouvementée du lieu. C’est l’ambition démesurée de faire sens en y proposant un art concret contemporain dans une approche contrapuntique. Mais faut-il absolument le faire parce que c’est possible ? Response, le résultat, est simplement too much. Trop d’œuvres, trop de répétitions de la même idée, de séries de la même image, trop de gigantisme aussi.

Pourtant, il y a des moments de grâce, des espaces réussis. Comme la série des Expansions, une recherche formelle entamée il y a quelques années et qui donnait une nouvelle orientation au travail de cet artiste venu du jazz et du street art, qui s’était fait remarquer il y a quelques années encore par ses Extrusions, tableaux-sculptures constitués de couches de couleurs découpées sur des murs graffités, puis poncés et retravaillés, qui racontaient les histoires de leurs lieux de provenance, avec une part d’aléatoire. Les Expansions par contre sont des compositions géométriques très réfléchies sur tôle aluminium au format 200 sur 250 centimètres, métal plié et peint en trois couleurs (jaune fluo, rose fluo et vert malachite). Accrochées dans le cloître, les œuvres changent selon le point de vue du spectateur, alors qu’il déambule dans cet ancien lieu de méditation.

En face, dans les caves voûtées, Franck Miltgen a par contre essayé de concurrencer le lieu – et il a perdu. Les voûtes des caves, mais aussi ces horribles rangées de tubes de néon accrochés en demi-cercle dans ces voûtes, ces très moches portes en verre – toute cette esthétique de nouveau-riche domine ici l’espace. Dans sa logique de « call and response » empruntée à la musique – un chanteur ou un instrument lance une mélodie reprise par un cœur ou un orchestre –, Franck Miltgen essaye d’y réagir avec sa série de 28 (!) Incisions, des peintures monochromes tridimensionnelles en couleurs vives ou noir absorbant, en papier monté sur châssis, accrochées sur un mur peint en noir ou en argent, selon la salle. Or, au lieu de provoquer une révélation dans sa répétitivité, comme une litanie, la série, pourtant intéressante par moments, agace par ce qui devient radotage.

Restent les deux gestes les plus ambitieux, qui sont comme des hommages de Franck Miltgen à Katharina Grosse. Deux objets gigantesques concurrençant les grands espaces du lieu : dans l’Agora et dans la cour centrale, il travaille avec une technique qui ressemble fort aux installations colorées, réalisées au pistolet, de l’artiste allemande, de vingt ans son aînée. Rip – comme déchirer ou arracher – est une composition de plusieurs murs en bâches de quatre sur trente mètres chacune, qui habille tout l’espace comme d’un rideau opaque, dans lequel le public peut déambuler et dont les pans de tissus dansent dans le vent. Sur le parvis, Franck Miltgen a réalisé une structure gonflable de 14,40 mètres de diamètre, Echo, sur laquelle on peut monter, se jeter, contempler le mur du Bock en face... Bref, l’artiste invite ici les gens à une expérience immersive et ludique de son art. Ce serait rigolo si les couleurs et compositions psychédéliques des tissus, obtenues par le pliage puis dépliage de la peinture encore humide, n’étaient pas, encore une fois, too much, comme un trip LSD. Ici, son contrepoint au lieu est trop démonstratif. Dans l’escalier baroque, les esquisses et modèles exposés prouvent pourtant que le geste artistique de Franck Miltgen peut également être en finesse, beaucoup plus enjoué.

Cette exposition prouve une nouvelle fois les limites de l’approche d’Ainhoa Achutegui de laisser carte blanche à un artiste d’investir les lieux comme bon lui semble, sans accompagnement curatorial, sans échange sur le contenu. Comme si souvent, un regard extérieur, des commentaires critiques, auraient permis de faire de cet acte de bravoure d’un seul artiste une exposition pertinente. Sans cela, le responsorium de Franck Miltgen, pour rester dans la métaphore musicale, n’est que la réponse d’une seule voix à une multitude de messages historiques et architecturaux.

L’exposition Response de Franck Miltgen dure encore jusqu’à dimanche, 10 avril, au centre culturel et de rencontres Neimënster ; son œuvre Echo restera installée sur le parvis jusqu’au 27 avril ; neimenster.lu. Quelques-unes de ses œuvres sont également exposées dans le Group show à la galerie Zidoun-Bossuyt, rue Saint-Ulric, jusqu’au 9 avril ; zidoun-bossuyt.com et franckmiltgen.com.
josée hansen
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