Mettre en valeur le spectateur-acteur

d'Lëtzebuerger Land du 20.01.2023

Pour un lecteur vivement intéressé par l’œuvre hugolienne monumentale, Les Misérables (1862), un roman historique, social et philosophique, se pose sans doute la question du comment l’aborder. La comédienne et metteuse en scène Isabelle Bonillo propose un voyage théâtral à travers le texte puissant, placé sous le sigle d’une thèse humanitaire et d’une inspiration épique ; elle inscrit sa démarche dans une interactivité théâtrale. Une expérience surprenante et réussie qui met en valeur les multiples talents de la comédienne.

Dans la salle du bar du Théâtre national du Luxembourg, le public, accueilli par Isabelle Bonillo, est installé autour d’un amas compact de chaises superposées. La une scénographie de Christophe Rasche, représente les barricades lors de la Révolution à Paris, une construction provisoire qui protège mais risque de s’écrouler. Les spectateurs sont invités à participer, à s’imaginer d’entrer, le temps d’une scène, dans la peau d’un des célèbres personnages de Victor Hugo. Ainsi Jean Valjean, le héros des Misérables, condamné au bagne pour le vol d’un pain pour nourrir les enfants affamés de sa sœur, vole aussi un évêque respectable qui lui pardonne et le sauve de sa condamnation. À la suite à ce noble geste, Jean Valjean choisit de devenir un honnête homme sous le nom de M. Madeleine, maire de Montreuil.

Surgissent d’autres personnages inoubliables, victimes d’un ordre social injuste, que Victor Hugo condamne : la dégradation de l’homme par le prolétariat, la déchéance de la femme par la faim, l’atrophie de l’enfant par la nuit : Fantine, sa fille Cosette que Jean Valjean adopte à la mort de sa mère. Mais le policier Javert puis l’aubergiste Thénardier abusent de leur pouvoir pour faire souffrir ceux qui sont à leur merci. La palette colorée des personnages est complétée notamment par Marius et Gavroche qui évoluent dans un contexte politique, les émeutes de 1832. Pour Hugo, « les petits détails, nous croyons l’avoir dit, sont, pour ainsi parler, le feuillage des grands événements et se perdent dans le lointain de l’histoire ».

Jouant de son accordéon, Isabelle Bonillo – dans son joli costume signé Denise Schumann – raconte l’histoire, accompagnée de la bande son de Michel Zeches, d’une palette de personnages (les héros obscurs selon Hugo) autour de Jean Valjean, en interprétant les divers rôles, relevant des scènes marquantes avec la participation du public qui joue le jeu, malgré quelques réticences que la comédienne intègre pour mettre à l’aise les acteurs d’un soir. La démarche de faire participer certains spectateurs les tire de leur rôle passif, ce qui est particulièrement important pour un jeune public (très présent lors de la première du spectacle). Il est sollicité pour jouer un rôle plus actif, participer, sous la guidance d’un comédien, homme du métier.

Ce choix rejoint aussi le rôle que les jeunes jouent souvent à l’école : participer à un projet, leur confier une responsabilité, ce qui les valorise et stimule en même temps certaines facultés. Ils trouvent en Isabelle Bonillo, un entraîneur de choix. Elle est à la fois dedans et dehors, revit l’histoire des personnages et est attentive au public. Elle a une forte présence sur scène et un talent extraordinaire pour aborder le public, l’embarquer dans le jeu. De certaines réticences des participants au début, de pas hésitants naissent souvent des attitudes plus dégagées ; parfois des airs renfrognés se transforment carrément en airs animés.

L’art de la comédienne, une femme-orchestre, consiste aussi dans son talent de relever un détail significatif du personnage, de faire un choix d’épisodes importants – relevons la scène finale, très émouvante, un hommage poignant à Jean Valjean – et de faire une mise en scène évocatrice, qui fait vivre les personnages d’Hugo. De l’ensemble surgit un microcosme éloquent, rehaussé par les effets de lumière évocateurs de Zeljko Sestak qui parfois fait allusion au monde d’aujourd’hui, en rappelle les injustices et montre que l’homme, malgré certains progrès, ne change pas fondamentalement. Isabelle Bonillo, seule en scène, anime avec brio, sous l’œil extérieur expert de Jacqueline Posing-Van Dyck, le plateau théâtral.

Les Misérables, coproduction du TNL et de T-âtre Ibonillo,
à voir au TNL les 26 et 27 janvier à 20h

Josée Zeimes
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