Trois mois avant les élections législatives, la politique se scinde en deux camps : ceux qui participent à la course pour le pouvoir – certains se tiennent déjà le côté – et ceux qui se sont essoufflés pour de bon et/ou n’ont pas été nommés pour une liste électorale. Le député John Castegnaro – plus connu du temps où il était le leader du syndicat OGBL – se trouve décidément dans le deuxième camp, celui des spectateurs et de ceux qui n’ont plus besoin de plaire – ce qui les rend dangereusement imprévisibles pour les camarades du parti. Mais pourquoi diable est-il venu jouer les rabat-joie mardi, lors d’une conférence de presse, en annonçant que le parti s’engageait pour une hausse de l’impôt de solidarité, car il fallait bien remettre à flot les caisses du fonds national pour l’emploi ? Offrant à la presse une belle représentation de la manière de couler son parti en direct. Et le président Alex Bodry, faisant mine de le soutenir dans ses propos, ajoutait qu’il fallait bien le prendre de quelque part, cet argent. C’était ça ou le désaveu de l’ancien candidat trahi, de celui qui jadis suivit le chant des sirènes, acceptant de jouer le jeu en espérant peut-être pouvoir décrocher un poste de ministre en guise de remerciement pour ses engagements.
Même si sur le fond, la population est bien obligée de leur donner raison sur une augmentation de l’impôt de solidarité, ces mêmes électeurs apprécieront ce franc parler quand même moins lorsqu’ils tiendront le crayon à la main le 7 juin. C’est pourquoi le président du groupe parlementaire socialiste Ben Fayot a fait des pieds et des mains mercredi pour limiter les dégâts et expliquer aux auditeurs de RTL que la hausse de la taxe de solidarité n’était qu’une option entre autres instruments possibles pour faire face à la crise et qu’il fallait en discuter en temps utile. Manque de bol, l’OGBL, le syndicat allié, remit le couvert en publiant le jour même un communiqué, applaudissant des deux mains l’idée d’augmenter l’impôt de solidarité. La vengeance est un plat qui se mange froid.
Cette châtaigne, Alex Bodry ne l’avait pas vue venir. Lui qui avait conjuré les candidats de ne pas faire leur promo aux dépens du parti – à ce moment-là, il avait sans doute visé d’autres postulants comme l’ingouvernable René Kollwelter ou encore la rouspéteuse Vera Spautz par exemple. C’était lors du congrès du parti, dimanche dernier, où Jean Asselborn fut désigné sans surprise une nouvelle fois comme tête de liste avec 97 pour cent des voix.
Elle fut très rose, la projection du logo du parti sur le lourd rideau de velours rouge de la salle de cinéma avec le slogan Mir paken et un. Très kitsch, la rose avec la perle, boutonnée au blouson du camarade qui aura déboursé cinq euros pour s’en offrir une. Un signe de mauvais augure, car plutôt qu’un congrès, c’était une longue cérémonie qui les attendait dans la vaste salle feutrée du CinéBelval. L’affiche du film The International – parlant d’une place financière pourrie – avait été délogée dans un coin, faisant place au buffet café croissants accueillant délégués, candidats et aides de camp qui avaient bien voulu se prendre la peine de suivre le chemin fléché de l’immense dédale du chantier de Belval.
Une cérémonie bien plus qu’un congrès – le bureau avait oublié de faire approuver les rapports, ce qui fut corrigé ensuite par des applaudissements – dont le choix des lieux ne pouvait pas être innocent. Certes, rien n’empêche de se moderniser et les nostalgiques des halls de sport envahis de lumière verte des néons sibériens à l’acoustique écorchée sont sans doute très peu nombreux, même si l’agencement des tables de brasserie permettaient des échanges et le regroupement des membres d’une section. Cependant, rien ne force davantage la passivité qu’une salle aveugle où les seuls projecteurs servent à mettre en valeur l’oratoire et où les délégués munis de leur billet jaune pour une demande de parole éventuelle furent réduits à de simples spectateurs confortablement installés dans les sièges dans la pénombre du nouveau cinéma. De plus, les places étaient désignées : les dirigeants du parti, les députés et les ministres socialistes devant, ensuite les candidats et autres.
Robert Goebbels, Lydie Err et Lino Seghetto étaient les seuls à avoir demandé la parole. L’annonce de l’intervention de Lydie Err avait suscité des crispations auprès des camarades mandatés, laissant craindre un instant une réédition du putsch des Femmes socialistes, qui avaient forcé la voie pour que l’une d’entre elles – Lydie Err en l’occurence – puisse faire partie du gouvernement remanié en février 1998. Cependant, ils purent souffler avec l’assurance qu’il n’en est rien, car la députée voulait simplement rendre attentif au fait que c’était la journée de la femme et que son parti avait de piètres résultats en matière de participation des femmes en politique.
L’intervention du délégué Lino Seghetto fit sourire, mais en substance, certains de ses propos ont été droit au but. Réagissant au show sur grand écran avec le passage des candidats surdimensionnés et comme apogée le défilé de toute une flopée de photos du chef de la diplomatie Jean Asselborn en compagnie des grands de ce monde, il fit remarquer que la rencontre avec Condoleezza Rice ou l’audience auprès du pape n’avaient pas été répertoriées. Et pour terminer, il invita les mandataires socialistes à jouer la transparence en matière de jetons de présence lorsqu’ils siègent dans un conseil d’administration.
Ensuite, ce fut l’ovation avec l’annonce de l’élection du candidat tête de liste Jean Asselborn, plébiscité avec 246 voix sur un total de 253. D’ailleurs, sur 321 délégués effectifs représentant tous les membres du LSAP, 256 avaient trouvé le chemin du CinéBelval dimanche matin – et trois étaient repartis avant le vote.
Beaucoup étaient déçus de la mise en scène trop lisse. Peut-être parce qu’ils avaient été assez naïfs de croire à une discussion de fond sur la nouvelle donne et les enjeux de la crise pour un parti de gauche dont les membres ne savent toujours pas très bien à quoi servent les forums, les cercles de discussion ou la nouvelle université d’été. Tiraillés entre le courant social-démocrate et socialisme de gauche, entre – grossièrement – les intellectuels du centre et ceux du sud qui souhaitent revenir à un socialisme centré sur la main d’œuvre au statut unique, les membres qui forment le fondement du parti ont du mal à voir la direction donnée par leurs leaders, engourdis par le pouvoir. Et la lecture de leur programme, qui sera approuvé lors d’un prochain congrès à Strassen, le 23 mars, n’aide pas vraiment à voir vers où se dirige le parti. Certains membres regrettent déjà les formulations évasives, floues, spongieuses – surtout en matière de politique sociale – le manque de visions, de profil.
Et pourtant, la crise et les élections législatives devraient être un moteur efficace, une aubaine même, pour un parti de gauche pour retrouver ses marques, lancer des appels pétillants à la mobilisation, pour affûter le profil du parti. Mais peut-être que les effets de la crise ne sont pas encore assez perceptibles, que la gestion de la crise ne semble pas encore assez urgente pour pouvoir provoquer cette dynamique nécessaire.
L’appel de Jean Asselborn à la solidarité et au respect, pour un changement des mentalités et des habitudes de consommation (« ce n’est pas que nous deviendrons plus pauvres, a-t-il dit, c’est juste que nous deviendrons peut-être moins riches ») est certes nécessaire, mais répéter que les socialistes sont « critiques, directs et optimistes », qu’ils ont leur identité, leurs opinions et leurs valeurs et que leurs mandataires ne sont pas « les tamagochis du grand capitalisme » sonne creux.
Après le show, les camarades ont quitté ces lieux dénués de convivialité sans demander leur reste, laissant une étrange sensation de vide. Avec ça et là, des roses rouges à grosse perle abandonnées sur les tables hautes à la sortie de la salle de cinéma.