L‘intervention française au Mali permet à la Grande Nation, qui pointe à peine son nez hors du marasme de la Françafrique, de redorer son blason africain

Gloire au combattant solitaire

d'Lëtzebuerger Land du 18.01.2013

Le consensus autour de l’intervention militaire française au Mali lancée jeudi dernier est presque parfait : de nombreux pays africains, le Niger, le Sénégal, le Burkina Faso, le Togo, le Bénin, l’acclament et ont annoncé l’envoi de troupes, y inclus des États anglophones dont en première ligne les porte-voix de la lutte contre le terrorisme comme le Nigéria et le Kenya. Le Mali, surtout, est soulagé. Les « Vive la France ! » fusent jusqu’à faire du lieutenant Damien Boiteux, tué lors de la première phase de l’opération Serval, un héros national. Soutien aussi des alliés traditionnels : Canada et États-Unis, ayant déclaré vouloir fournir un appui, et de certains partenaires européens, Belgique, Danemark, Grande-Bretagne, pour un renfort logistique. Il y a longtemps qu’une intervention de la France dans son fief ouest-africain n’a pas été tant applaudie. Les rares voix discordantes proviennent de l’Organisation pour la coopération islamique, clamant un arrêt des hostilités, et d’Algérie, où certains médias crient à l’interventionnisme français en ravivant les mauvais souvenirs du colonialisme ; ils sont mal placés, il faut dire, vu la position ambiguë des autorités algériennes dans le conflit au Nord-Mali.

Et pourtant, comme un doute subsiste quant à la clarté juridique de l’intervention malgré que le président Hollande, muté en chef de guerre comme malgré lui, ne cesse de marteler que « la France intervient dans le cadre de la légalité internationale, ne poursuit pas d’intérêt particulier et n’a pas d’autre but que la lutte contre le terrorisme ». Le Conseil de sécurité des Nations unies (dont le Luxembourg, n’oublions pas) a beau avoir exprimé son appui unanime, on peut penser que cette légitimité découle davantage d’un consensus politique que d’une situation juridique impeccable. Pourtant, des voix se sont levées, aussi en France, pour dénoncer l’absence de mandat explicite, la résolution onusienne n°2085 votée le 20 décembre 2012 n’autorisant, afin de rétablir la souveraineté malienne sur l’ensemble du territoire, que « le déploiement d’une force internationale sous conduite africaine ». Il est clair que ce sont essentiellement des troupes françaises qui se battent en renfort d’une armée malienne en déroute. L’opération sort donc du cadre de la résolution.

Si la France estime que l’article 51 de la charte de l’Onu (qui mentionne « le droit de légitime défense, individuelle ou collective, dans le cas où un membre de l’Onu est l’objet d’une agression armée ») ainsi que la demande d’aide faite par le président malien Traoré suffisent largement pour justifier l’intervention, ils n’en font pas moins un intense effort diplomatique dans toutes les directions afin de s’assurer du soutien politique, militaire et financier du plus grand nombre de partenaires. Diplomatie française at its best, avec succès : même les Émirats ont indiqué vouloir apporter leur pierre à l’édifice.

Il est vrai que les arguments mis en avant sont poignants et ne suscitent guère d’opposition : arrêter l’agression islamiste cherchant à contrôler le Mali, permettre au pays de recouvrer son intégrité territoriale, protéger les environ 6 000 ressortissants français et surtout les intérêts sécuritaires européens en matière de lutte contre le terrorisme. Personne n’ose nier que sans l’action française, Bamako serait probablement déjà sous la charia.

Cette situation paradoxale – tout le monde consent mais personne n’agit – témoigne une fois de plus de la faiblesse du dispositif onusien (la résolution n°2085 fut adoptée neuf mois après le putsch du 22 mars à Bamako et la prise consécutive du Nord-Mali par le MNLA en malheureuse alliance avec les islamistes), mais aussi africain. La mission d’intervention en préparation sous l’égide de la Cedao ne devait pas être opérationnelle avant septembre 2013, alors qu’il était clair que d’ici-là, les islamistes n’allaient pas perdre leur temps.

C’est également le manque d’engagement des partenaires européens qui déçoit, avant tout celui de l’Allemagne. Il y règne l’hésitation habituelle : si le ministre des Affaires étrangères Guido Westerwelle signe les arguments en faveur de l’opération Serval, il rejette pourtant, non sans minutieux examen bien sûr, toute participation allemande : une intervention devant rester l’« ultima ratio »... même si différentes possibilités de participation (logistique) continuent à être examinées. L’UE qui, en matière de défense n’est rien sans ses États membres, ne contribuera qu’à une mission de formation militaire – les battle groups, disponibles depuis 2007, continueront à attendre leur première mission.

In fine, le manque de détermination de ceux qui ont souvent le plus critiqué la France en Afrique lui laisse la scène libre, légitime son action unilatérale par défaut, permet de préserver son rôle de fin connaisseur de l’Afrique et lui accorde finalement une grande liberté d’action. C’est dommage, c’est peut-être un peu trop tôt. On a tendance à croire le président Hollande quand il dit : « Cela n’a rien à voir avec des pratiques d’un autre temps » – il vient de refuser son aide au Président centrafricain Bozizé en difficultés, rompant avec des traditions bien rodées ; d’autres gestes jouent en sa faveur, comme celui d’avoir rencontré, lors de son déplacement à Kinshasa pour le sommet de la Francophonie, l’opposition congolaise plutôt que le leader du douteux régime Kabila. Mais après des décennies de Françafrique et ses faits encore récents comme l’intervention catastrophique en Côte d’Ivoire en 2011 ou son rôle ambigu dans les circonstances qui ont mené à la mort du colonel Khaddafi, ces pratiques risquent de ne pas changer de si tôt : la nébuleuse franco-africaine continue à exister, ses adhérents restent actifs, y inclus d’anciens combattants convertis en conseillers de sécurité ou autres acteurs du dispositif sécuritaire. Ils auront encore l’occasion de faire valoir leur expertise, notamment au sein de la PESC. À la limite, l’absence d’alliés aux côtés de la France encourage les partenaires africains à signer avec elle des accords de défense bilatéraux, parce qu’on « peut compter sur elle » (ces accords n’ont d’ailleurs pas été mis en avant pour justifier l’opération Serval, car il s’agit d’un pur produit de la Françafrique, un argument juridiquement adéquat mais politiquement problématique).

Par ailleurs, l’opération Serval ne reste qu’une action palliative – l’Allemagne aura raison de rappeler que la solution doit être politique. C’est là l’inanité de l’intervention : un acte d’urgence, malgré sa manifestement très bonne préparation, qu’on aurait voulu éviter, car il ne fait que stopper l’hémorragie. Pour combattre l’infection, il faut une stratégie de pacification, y inclus un mandat précis d’une force internationale sous direction africaine, une médiation et un calendrier politique prévoyant une résolution durable du conflit et des élections. Tristement, le seul mérite durable de « Serval » aura été d’accélérer les efforts en ce sens. En attendant, la tragédie humaine continue : morts et blessés civils, 150 000 réfugiés (alors que les frontières sont en train d’être fermées), 230 000 déplacés.

Béatrice Dissi
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