CD I see you de Greg Lamy

Go see him!

d'Lëtzebuerger Land du 03.12.2009

Tiraillé entre Paris et Luxembourg, le guitariste luxembourgeois natif de la Nouvelle Orléans Greg Lamy sort sa nouvelle plaque auto-produite et intitulée I see you. Les différents climats qu’on y retrouve, merveilleusement restitués par son quartet, rappellent le goût des voyages et des expériences de son instigateur principal. Ce qui fait sens, quand on sait que Greg Lamy a usé ses culottes sur les bancs de conservatoires aussi prestigieux que le Berklee College of Music de Boston ou le Trinity College de Londres.

Les neuf morceaux, dont une reprise d’un standard de Thelonious Monk, le casse-gueule Round Midnight, dénotent d’une même volonté de limpidité où l’on évite soigneusement l’envie d’en mettre plein la vue. Cette approche met en évidence la sobre élégance d’une formation très affûtée. Les trois compères, à savoir Gautier Laurent (basse), Johannes Mueller (saxophone) et Jean-Marc Robin (batterie) complètent parfaitement le jeu fluide et chaleureux de Greg Lamy. Lancé par des riffs de guitare à la pédale wha-wha qui empruntent les accentuations d’une biguine (danse martiniquaise), Go entre dans le vif du sujet grâce aux interventions d’un saxophone qui reprend le thème développé à la six cordes, puis les deux protagonistes principaux se fendent de soli à la coule, tout en lançant des œillades au thème mélodique. La section rythmique tient quant à elle les rênes du morceau. The Tram prend les pourtours d’un groove plus accentué, proche de Medeski, Martin [&] Wood, lorgnant quelque peu vers des sonorités plus blues ; le jeu de Greg Lamy s’agrémentant de quelques stridences, on est cepen-dant encore loin des metal sheets chers à Sonny Sharrock. Johannes Mueller reprend le flambeau, permettant à Lamy de développer des stries et autres cocottes rythmiques funky.

Le triptyque Mademoiselle prend le relais. La première partie, assez enjouée, emprunte à nouveau des syncopes issues des îles sur lesquelles s’époumone de manière guillerette Johannes Mueller. Ce registre léger renvoie un peu au premier album du Portico Quartet britannique, avant son envol réussi avec son magnifique deuxième essai, le très beau Isla de cette année. Le thème deux se lance dans une veine plus introspective et mélancolique, où l’on peut apprécier les subtilités du jeu de cymbales de Jean-Marc Robin. La dernière partie de Mademoiselle est plus rentre-dedans, proche d’un John Scofield et Greg Lamy développe quelques motifs obsédants.

Suit la ballade Mr Paulo tout en dérives nocturnes, avec son atmosphère de bar enfumé où s’alignent des êtres ressassant leurs passés devant un verre. La pièce de résistance qu’est On//Off peut alors faire son entrée sur la pointe des pieds. À nouveau, une ambiance crépusculaire sert d’entrée en matière, sauf que le morceau est plutôt dans une optique ascensionnelle pas très éloignée des vieux rêves de Miles Davis période Filles de Killimanjaro, voire la pierre philosophale qu’est In a silent way. Une rythmique hypnotique permet aux deux solistes de broder respectivement un thème circulaire et prenant. Puis vient la trouvaille onirique de l’album, avec la guitare qui se transforme, par une habile utilisation de pédales d’effets, pour sonner comme des couches de vibraphone. In and out présente un visage plus nerveux avec le binôme guitare / saxophone reprenant à tue-tête le thème principal, avant de laisser chacun des solistes étendre ses compétences avec maestria. La reprise du Monk est respectueuse et élégante tout en évitant les pièges inhérents à ce maître, permettant de clore dignement, mais sans étincelles cet album racé et réussi.

David André
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