Yvan en Avignon

Quel pastis  !

d'Lëtzebuerger Land du 13.09.2024

À l’heure où vous lirez ces lignes, le président de la République, ou ce qu’il en reste, se sera peut-être résolu à la déprocrastination en nommant enfin un premier ministre. Mais en ce matin du mercredi 4 septembre, en pleine crise politique et budgétaire, en pleine liesse paralympique, en plein orage de l’après 15 août, ici, en Provence, on a d’autres chats à fouetter. Pensez-vous : les pastis Ricard, enfants de Marseille, ont signé un accord publicitaire avec l’ennemi de Paris. Le deuxième groupe mondial de boissons alcoolisées a trahi l’Olympique de Marseille pour le Paris Saint-Germain, obligeant les enfants de Pagnol de boire le pastis jusqu’à la lie. Le PSG va désormais s’appeler Pastis Saint-Germain !

Oh certes, la loi Evin interdit la publicité pour l’alcool en France et limite donc cet accord à l’international, mais rien que l’idée de voir les Teutons, les Angliches et autres Amerloques admirer des Parisiens usurper un maillot jaune Ricard fait douter Phocéens et Provençaux de leur identité. Au pays de Fanny, Marius et César, on se fâche tout rouge et rit tout jaune de cette pagnolade, tout en se ruant sur le journal La Provence qui consacre toute sa une au scandale. Une goutte de pastis a réussi à troubler non seulement l’eau de la Grande Bleue, mais l’ADN même des Provençaux. Car Ricard est aux Marseillais ce que Charly Gaul est aux Luxembourgeois et la Citroën DS aux Français, une mythologie digne de Roland Barthes. Et c’est ainsi qu’autour des zincs du Vieux-Port et sur les réseaux sociaux, on se promet de ne plus boire que du Pernod ou du 51, oubliant un peu vite que ces ersatz sont tombés eux aussi dans l’escarcelle du groupe traître.

Parions alors que les fous du Stade Orange Vélodrome vont se rabattre sur le Casanis, l’anis préféré des Corses dont Marseille est la plus grande ville, loin devant Bastia et Ajaccio. Au fameux Bar de la Marine, on murmure même qu’on s’apprête à décrocher l’iconique photo qui montre Fernandel trinquer avec… Paul Ricard. Et les hooligans du fameux Virage Sud rêvent déjà de faire la peau à « Ricard qui aime trop le Qatar ». Les Romains appelaient affectueusement Mare nostrum leur Méditerranée que Charles Trenet faisait valser le long des golfs clairs. « Mater nostra » apostrophaient les Provençaux leur boisson emblématique dont les gorgées, désormais, vont leur rester en travers du gosier. Mais en Aquitaine aussi, l’angoisse et le doute s’installent. Que se passerait-t-il en effet si Ricard vendait une autre de ses marques, le fameux Lillet, emblématique apéritif de Bordeaux, à sa rivale La Rochelle ?

En cette époque d’identités chancelantes, l’oralité fait presque figure de dernier liant social, que ce soit à travers la langue, la bouffe ou la boisson. Pastis et patois, même combat identitaire ! Gageons alors que le Front National ne tardera pas à revendiquer la préférence provençale pour le Ricard et que Macron, qui a maintes fois proclamé son amour pour Marseille, profitera de l’affaire pour faire digression sur son incapacité à rassembler les Français. Peuchère, il faut bien admettre que cette histoire de pastis pastiche la situation politique, car Le Robert nous apprend que pastis désigne aussi une situation confuse et inextricable. Et que le louchissement, ce phénomène physique qui blanchit et jaunit l’eau au contact du pastis, a bien opacifié aussi la mare des politiques.

À l’heure où vous lirez ces lignes, Michel Barnier sera-t-il encore premier ministre ? En effet, l’encre du billet d’Yvan n’est pas encore sèche, pardon, le clavier résonne encore du tapotement des doigts de votre serviteur, que Ricard, devant le tollé des Marseillais, annule le contrat commercial conclu avec le PSG, et que Macron, devant l’impatience des Français, annule le contrat démocratique conclu avec les électeurs. Déniant la (relative) victoire de la gauche, il a dû se dire que c’est dans les vieilles casseroles qu’on fait la meilleure popote et nomme Michel Barnier, le montagnard, premier de cordée. Charles Pasqua, gaulliste de droite et ex-VRP de Ricard, peut se re-retourner dans sa tombe.

Le nouveau premier ministre, négociateur du Brexit, engagera-t-il dans la foulée l’exit de la Ve République ? C’est en tout cas un des oiseaux rares à ne pas vouloir détricoter les réformes de celui qui n’est plus Jupiter et à ne pas trébucher dans l’immédiat sur une censure du Front National qui est content de ne pas voir à Matignon un « immigrationiste dingue ». Et c’est vrai que l’ex-commissaire européen a déjà réfléchi à haute voix comment échapper à la tutelle bruxellois en matière d’immigration.

En dissolvant l’Assemblée Nationale, Macron voulait affaiblir l’extrême-droite. Il n’a réussi qu’à en faire l’arbitre du jeu politique et à en devenir l’otage. La mythologie grecque, pourtant, aurait dû lui apprendre qu’à force de louvoyer avec la sentence de l’oracle de Delphes, on ne fait que précipiter son échéance. Il est vrai que les prophéties de la Pythie étaient aussi confuses et difficiles à interpréter que le résultat des dernières législatives, mais vouloir jouer au plus malin avec elles, c’est ouvrir toutes grandes les portes au Malin. Crésus, Laïos et les Atrides, pour leur malheur, en savent quelque chose, Marine Le Pen, pour son bonheur, aussi ! Caeterum censeo : Pim Knaff doit démissionner.

Yvan
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