Gueule de bois

d'Lëtzebuerger Land du 13.01.2023

« Si vous étiez un arbre… » Charly Krau sourit. Hêtre ou ne pas être, d’autres se sont longtemps posé la question. Et puis, après tout, à force de côtoyer du bois toute la journée, le menuisier va peut-être se muer en un solide végétal. « Alors, ce serait un chêne ! D’abord parce que c’est un arbre d’ici, et que je suis pleinement enraciné au Luxembourg. Ensuite parce que j’aime sa teinte. Brut, il est blond clair, mais pour peu qu’on prenne soin de lui avec une bonne patine naturelle cela devient comme de l’or. » C’est cela qu’aime ce trentenaire : prendre le bois pour le sublimer, le détourner. À voix haute, il rêve même de « meubles-bijoux ». Des pièces imaginées dans sa tête, découpées, travaillées, poncées de ses mains et qui, une fois, installées « sont aussi jolies dans une maison qu’un collier autour du cou d’une femme ».

Voilà résumée toute la poésie que ce gaillard barbu veut apporter à son artisanat depuis, qu’en octobre 2020, il a ouvert sa propre menuiserie, Charly Krau wood and more. Un nom, une matière et plus encore. Le dernier terme est presque le plus important : En quatre lettres, M-O-R-E, tiennent les valeurs de son entreprise. « Le plus, c’est l’amour du travail bien fait d’abord. Le plus, c’est qu’ici, on ne produit pas à la chaîne mais on s’attache à sortir des choses uniques. Le plus, c’est aussi l’aventure collective qu’est devenue la menuiserie. Chez moi est devenu chez nous ! » Dans l’atelier, à Mondorf-les-Bains, Benedikt et Sascha ont rejoint le jeune créateur. Le premier en tant que copain tout droit sorti des années où, à Kaiserslautern, Charly passait sa maîtrise (« et Bene’ est le meilleur menuisier que je connaisse »). Le second comme « jeune apprenti de quarante ans ». « Sascha, il a tout plaqué pour débuter dans ce métier. Une telle passion, c’est un feu communicatif. »

Et lui, qui lui a transmis la flamme de la menuiserie ? Pas la transmission familiale directe, même si père et oncle n’ont pas été étrangers au destin professionnel du môme. « Personnellement, je ne me voyais pas travailler dans un bureau. Quand j’étais avec eux, ils m’ont toujours laissé bricolé à leur côté, construire des trucs avec mes mains. » Des années après, dans la tête du menuisier, résonne d’ailleurs encore cette phrase de son paternel, sésame pour la vie future : « Vas-y toi, prends l’outil. Moi, je sais déjà faire… » Aujourd’hui, commodes, lits, armoires signées Charly Krau wood & more prouve que le gamin a bien appris. Scie, rabot, toupie, dégauchisseuse, perceuse sont devenus autant de prolongements de ses doigts. Une habileté manuelle combinée à un sens esthétique qui donnent naissance à des pièces inédites. Comme ces pieds de table en forme d’éclair aux volumes asymétriques (« un prototype ») ou encore ces triporteurs que l’on a pu voir déambuler autour des animations d’Esch 2022.

Mais que ce soit pour une table basse, un sideboard décoratif, un plan de travail ouvragé, le highlight c’est quand il perçoit la satisfaction de celle ou celui qui lui a passé commande. « Je me souviens d’une femme qui avait le sourire jusque derrière les oreilles et qui n’arrêtait pas de sautiller en découvrant le meuble que je venais de lui livrer. » L’homme n’étant pas de bois, voilà bien le genre d’émotions qui grimpent vers son cœur comme un sève réconfortante.

Charly sait que le chemin sera encore long. Que d’autres bois l’attendent, d’autres commandes, d’autres tailles. Qu’il n’a pas fini d’imaginer des pièces, ni de respirer de la sciure. Mais son rêve est à ce prix : « Le but c’est de finir par avoir une certaine ligne. Que l’on dise « Ah, ça c’est du Krau. Que les gens prennent conscience qu’un meuble c’est de l’utilitaire mais aussi du beau, du plaisir des yeux, du plaisir du toucher, du plaisir de respirer la nature. » Cette touche de more qui le fait avancer, grandir. Après tout, les chênes comme lui finissent centenaires, mais pas en un jour.

Patrick Jacquemot
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