Avant que les livres de la rentrée envahissent l’actualité littéraire à l’occasion des Walferbicherdeeg, revenons sur Parfois la nuit se tait, deuxième roman d’Antoine Pohu

C’est beau Bruxelles, la nuit

d'Lëtzebuerger Land du 17.11.2023

Voilà un beau titre qui dit déjà les errances nocturnes qui teinteront le roman. Parfois la nuit se tait nous dit qu’il faut savoir écouter le silence, quand les doigts se décollent des touches du piano, avant que les applaudissements ne retentissent. Ces moments que Daniel, le narrateur, ne parvient plus à apprécier, n’arrive plus à vivre, à ressentir. Ce pianiste de jazz au succès pourtant croissant se sent perdu. Sa vie de concerts ne lui apporte aucune satisfaction. Il est vidé, coincé dans le cul-de-sac d’une existence désabusée déjà peu marquée par la joie de vivre. C’est décidé : il sa se barrer. Partir. Prendre le large. Pour, enfin, vivre. Peut-être par peur de changer d’avis ou d’être finalement retenu, il n’annonce son départ que la veille. Il a rassemblé ses amis, Martin, Boris, Carlotta, Arthur, dans le bar de Stéphane où il a ses habitudes. Mi-blasé, mi-complice, le barman vieillissant passe des disques de jazz ce qui, mine de rien, nous dit l’érudition de l’auteur en la matière.

Antoine Pohu (né en 1999) signe là son deuxième roman, le lice pour le Bicherpräis, après La Quête, paru chez Op der Lay en 2020. Parfait représentant de sa génération, il n’aimerait pas qu’on dise qu’il est touche à tout. Mais il joue aussi de la guitare, fait de la photo (dont celle de la couverture) et de l’escalade, a finalisé des études en arts du spectacle vivant à l’Université libre de Bruxelles (avec un mémoire consacré à Eschyle et la réécriture dramatique). Quand il n’écrit pas, il travaille sur des projets théâtraux ou de programmation artistique. Capybarabooks vient aussi d’éditer Nous sommes celleux qui marchent dans la ville qui avait été publié (avec un titre au masculin) dans les Cahiers luxembourgeois l’année dernière. Un texte court, lui aussi ancré dans son époque, qui s’annonce comme « un cri de rage face à l’actualité ; de dirigeants de plus en plus autoritaires et de systèmes économiques qui creusent nos tombes. »

Parfois la nuit se tait n’a en revanche rien de rageur. Il tient plutôt de l’amertume ou de la désillusion que son protagoniste, un jeune pianiste de jazz, entretient comme il fait ses gammes. Il a choisi une vie de bohème, à l’encontre de l’avis de ses parents et tente tant bien que mal de suivre cette voie élective. Le roman suit ses errances et pérégrinations dans les nuits d’un Bruxelles pluvieux dont le décor fait écho aux pensées sombres du narrateur. L’auteur nous balade habilement à travers plusieurs moments, plusieurs strates temporelles. Le moment-charnière où Daniel annonce son départ est entrecoupé de scènes du passé : les débuts au piano, un premier amour bêtement gâché par une beuverie estudiantine (le penchant pour la boisson le poursuivra au fil des pages), l’amitié avec Paul qui aurait pu porter le nom d’amour, la belle histoire avec Marie qui s’étiole pourtant dans la routine, des petits instants de bonheur volés à la nuit, pour aller vers une vacance grecque lumineuse où le désir homosexuel devient plus prégnant.

On suit cette existence pleine de doutes et pleine de possibilités qui n’ont pas éclos faute d’assumer des choix professionnels et sentimentaux, faute de réussir à devenir adulte. Car Parfois la nuit se tait pourrait être un roman d’apprentissage (coming-of-age novel) mais notre héros n’apprend pas grand-chose, sauf peut-être que fuir pour échapper au blues ne fait pas taire la musique lancinante qui résonne dans le vide intérieur.

Malgré des redites un peu plates, des descriptions assez attendues de reflets de lumières de phares sur les pavés mouillés, de cheveux qui collent au front et de nuages qui se muent dans le vent, l’écriture d’Antoine Pohu révèle une grande sensibilité, parfois un certain lyrisme. On n’est pas dans une improvisation de jazz, mais dans un roman clairement structuré, au rythme maîtrisé, même s’il s’appesantit parfois sur certains moments. Difficile de mesurer ce qu’il relate de lui-même, et finalement, peu nous chaut. Les tourments du narrateurs sont ceux de la jeunesse d’aujourd’hui qui veut tout et rien à la fois, l’amour des deux genres, l’autonomie et la liberté, la solitude et la solidarité.

France Clarinval
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