Contrer l’abstraction avec des symboles forts et le reproche d’être technocratique en appuyant sur les sentiments a toujours été une des stratégies politiques pour faire adhérer un plus grand nombre de citoyens à l’idée européenne. Le CSV, parti d’un des idéalistes européens vivants les plus connus, n’hésite pas à lutter contrer la peur du plombier polonais avec un... coteau de Schengen !
Sa liste des six candidats pour les élections européennes – et non plus douze comme lors des élections précédentes, suite à la modification de la loi électorale –, que le parti a présentée lors d’un Euromeeting dimanche dernier à Moutfort, comporte aussi le maire de la petite commune de Schengen (1 600 habitants), Roger Weber, 58 ans, viticulteur... parce que sa commune a accueilli, en juin 1985, la cérémonie de l’acte signature de l’accord qui porte le nom du village et instaurant la libre circulation des citoyens européens dans l’espace éponyme. S’il était élu, il côtoierait le socialiste Robert Goebbels dans les couloirs du Parlement européen, qui fut un des signataires, en tant que jeune secrétaire d’État aux Affaires étrangères du Luxembourg – la rue devant le centre touristique dédié à l’Europe à Schengen porte d’ailleurs son nom.
Symbolique un peu lourde ou folklore ? Roger Weber, qui s’affiche certes en fervent fan de l’Europe lors des réceptions pour les hôtes visitant Schengen, n’a aucune expérience de politique autre que locale. Son cas illustre bien la difficulté qu’ont les partis à compléter leurs listes pour ces européennes. Car, si le CSV a certaines chances de garder ses trois sièges, les trois autres candidats sont envoyés au casse-pipe : s’ils ne sont pas élus à Strasbourg, ils n’ont plus aucune chance de se rabattre sur un autre mandat, national par exemple. Ils retomberont dans l’anonymat. Dimanche, le président du parti François Biltgen a expliqué aux quelque 200 militants assistant au congrès européen que la liste du CSV était constituée selon les compétences des candidats. Viviane Reding, l’actuelle commissaire (depuis 1999) et ancienne députée européenne (de 1989 à 1999) et Astrid Lulling, éternelle députée à Strasbourg (de 1965 à 1974 et depuis 1989), qui aura 80 ans cette année, sont les deux valeurs sûres de la liste. Erna Hennicot-Schoepges et Jean Spautz, actuels députés européens, ne voulant plus se présenter, et les stars nationales du CSV, même âgées, ayant toutes préféré un autre mandat national que ce qui est toujours ressenti comme un « exil » strasbourgeois, tout restait à réinventer.
Les quatre autres candidats du CSV sont donc plutôt des inconnus sur le parquet politique : Georges Bach (54 ans), le président du syndicat catholique des cheminots Syprolux, doit incarner l’importance de la politique d’infrastructure et des transports ; Fränk Engel (34 ans), actuellement secrétaire du groupe parlementaire du CSV, est un spécialiste des questions institutionnelles et fut l’orfèvre de la campagne du CSV pour le référendum sur la Constitution européenne en 2005 ; Roger Weber donc pour les symboles et la politique agricole, et Tania Matias (29 ans), représente les femmes, la jeunesse, la politique sociale (elle est secrétaire syndicale au LCGB) et la communauté non-luxembourgeoise (elle est d’origine portugaise). Si Viviane Reding restait commissaire européenne – les autres partis reprochent d’ailleurs au CSV de ne pas jouer cartes sur tables en présentant une candidate populaire qui ne risque pas d’accepter ce mandat parlementaire, comme elle explique à qui veut l’entendre sa préférence pour le poste de commissaire –, qui seront ceux qui accompagneront Astrid Lulling à Strasbourg ?Traditionnellement, les députés CSV défendent plus les intérêts nationaux à Strasbourg – surtout ceux de la place financière – qu’ils ne soutiennent l’Europe au grand-duché.
En 2004, le CSV avait gagné plus de cinq pour cent des suffrages (à 37 pour cent) et un siège par rapport à 1999. Mais cela était surtout dû aux scores personnels extraordinaires de Jean-Claude Juncker (41 455 voix), Luc Frieden (25 168 voix) et François Biltgen (16 875 voix). Viviane Reding, classée quatrième, restait à la Commission ; Astrid Lulling venait en cinquième, Jean Spautz en septième et Erna Hennicot-Schoepges en dixième position (7 426 voix) de ce palmarès personnel, le parti ayant recueilli plus de 230 000 suffrages de liste (contre 168 000 en 1999). Cette fois-ci, le parti doit donc faire sans la popularité de son Premier ministre qui, toutefois, restera son principal argument dans la campagne pour les européennes. « Aucun autre parti n’incarne mieux que nous la politique européenne, » était le credo dimanche.
Car le CSV est forcé de miser cette année sur les suffrages de liste, espérant pouvoir prouver, en ayant recours aux noms des Jean-Claude Juncker, Jacques Santer ou Pierre Werner, que le parti a une véritable compétence européenne. Les symboles plutôt que des engagements concrets. Car « il faut sentir l’Europe dans nos cœurs, » comme le déclara la tête de liste Viviane Reding. Le manifeste Zesumme wuessen. Fir e staarkt, solidarescht an innovatiivt Europa vun de Bierger (« Grandir ensemble, Pour une Europe des citoyens forte, solidaire et novatrice »), un papier de réflexion sur lequel les internautes et militants pourront réagir en-ligne, reste toutefois, avec ses cinq pages, très général et abstrait. Paix, stabilité économique, sécurité intérieure et extérieure, droits des consommateurs – pour Viviane Reding, les tarifs des roaming qu’elle s’est obstinée à faire baisser sont l’incarnation d’une « Europe des résultats » –, normes sociales minimales sur tout le continent, un euro fort...
La stratégie des Verts est diamétralement opposée. Tout comme leur expérience : alors qu’en 1999, Claude Turmes, tout nouveau en politique après des années de militantisme au Mouvement écologique, n’était que le septième élu sur la liste de son parti (avec 2 000 voix), mais accédait au mandat parce que tous les autres le refusèrent, il fit un triomphe en 2004, avec 13 700 voix personnelles, plus que tous les mandataires du CSV durant cette législature. Davantage que d’invoquer les symboles, son parti va jouer la carte du pragmatisme en dressant un bilan de leur député strasbourgeois – et, par ricochet, des cinq autres – et en affichant le travail accompli, leurs avancées dans les dossiers énergie, lutte contre le lobbying, innovation écologique, pour lesquels Claude Turmes a été élu « député européen de l’année 2008 » par le journal European Voice. Les Verts ont présenté leurs candidats aux européennes en octobre 2008 déjà, une équipe relativement jeune (moyenne d’âge : 41 ans), Núria Garcia, 24 ans, étant co-tête de liste avec Claude Turmes. La partie consacrée à l’Europe de leur programme électoral est beaucoup plus concrète que celui du CSV, avec aussi des engagements sur les droits des migrants par exemple. Ils prônent une Europe ouverte plutôt qu’un seul « espace de sécurité » et demandent un meilleur contrôle des lobbies et des marchés financiers.
La liste provisoire du LSAP, qui ne sera définitivement arrêtée que le 9 février lors d’un congrès spécial, est bien plus âgée (moyenne : 56 ans), rassemblant une équipe assez éclectique autour de l’actuel député européen Robert Goebbels. De l’assistante sociale Ginette Jones et l’éducatrice Simone Asselborn-Bintz en passant par des politiciens chevronnés Jos Scheuer (actuel député luxembourgeois) ou René Kollwelter (conseiller d’État, conseiller communal dans la capitale) jusqu’au saltimbanque, auteur de théâtre et directeur du Centre culturel de rencontres Abbaye de Neumünster Claude Frisoni (qui fut conseiller de la campagne du CSV en 2004), cette liste mise plutôt sur l’expérience et des noms assez connus pour essayer de reconquérir le deuxième siège perdu en 2004.
La direction que prendra cette campagne au sein du LSAP toutefois n’est pas encore définie, les candidats ne se connaissant guère – bien que René Kollwelter ait déjà commencé sa campagne personnelle. Le LSAP consacre plusieurs pages de son programme électoral à l’Europe, soulignant l’importance de la dimension sociale – le volet le plus contesté lors des débats sur la Constitution – et revendiquant son appartenance au groupe socialiste, 217 sièges sur les 785 députés que compte le Parlement européen, donc deuxième force après le parti populaire (288).
Charles Goerens, l’actuel président du groupe parlementaire libéral au Marché-aux-Herbes, qui vient d’être désigné tête de liste pour les européennes par son parti, connaît bien le travail pour y avoir siégé à deux reprises déjà, ente 1982 et 1984 et entre 1994 et 1999. La tâche délicate de constituer une liste est encore devant lui, il veut la finaliser jusqu’à fin février, avec la difficulté que les noms les plus convoités sont déjà inscrits sur les listes des candidats nationaux (voir page 5). Entre 1999 et 2004, le DP a perdu presque cinq pour cent des voix, pour se retrouver sous la barre des quinze pour cent. En 1999, Charles Goerens s’était classé premier ; en 2004, deuxième derrière Lydie Polfer. « Les deux élections, les législatives et les européennes, revêtent la même importance pour nous, » dit-il, conscient toutefois de la difficulté à donner la visibilité nécessaire à ces élections mal-aimées.
Les petits partis, quand à eux, que ce soit La Gauche ou l’ADR, ne vont pas s’interdire les doubles candidatures, sachant que sans leurs politiciens les plus connus sur le plan national, leurs chances diminueraient encore face aux poids lourds mobilisés par les partis déjà représentés à Strasbourg. Leurs stratégies et leurs listes de candidats ne seront connues qu’en mars.