Arts plastiques

Un esprit libre

Patrick Saytour : Sans titre, 2006 chez Ceysson & Bénétière
Photo: Marianne Brausch
d'Lëtzebuerger Land du 25.10.2019

Dimensions de la galerie Ceysson & Bénetière oblige, au Wandhaff, l’exposition monographique de Patrick Saytour a un côté rétrospective, même si la galerie s’en défend et préfère parler de « séries ». Toutes les périodes du plus ancien membre vivant du mouvement Supports/Surfaces y sont en tout cas représentées, au long d’un parcours qui ne compte pas moins de 80 pièces.

L’espace d’accueil de la galerie du Wandhaff propose, en guise d’introduction, un résumé du talent de Saytour, aussi à l’aise dans l’expression picturale en soi (Tuilage, 1975) que dans les autres modes d’expressions que le mouvement Supports/Surfaces, auquel il appartient, s’est programmatiquement évertué à démonter à partir de la toute fin des années 1960.

Voici donc le magnifique « paravent » Déployé (toile et bois de 1970) et, on pourrait presque dire la « sculpture », en tout cas une pièce libérée de tout support (sauf l’accrochage par un anneau au plafond) et toute surface (sauf sa partie « déroulée » au sol), Tension, en sangle et bois, également de 1970.

On a personnellement préféré faire le tour par ordre chronologique, n’étant pas convaincue par la production actuelle de l’artiste présentée dans la première salle, qui nous est apparue un peu facile : la série Voila Voila, qui date de 2018, montre des objets divers (bassines servant à verser de la peinture, livres majoritairement pour enfants et pour la jeunesse découpés, cloués ou collés sur des planches de bois, tachées de peinture de pinceaux « de l’artiste au travail ».

Chronologiquement et historiquement donc, Patrick Saytour a commencé, dès le début de sa longue carrière, à utiliser la toile mais pas celle vendue dans les magasins spécialisés pour peintres. Son goût pour la « chine », restera tout au long de sa vie une de ses caractéristiques. Il affirme ainsi aussi sa proximité avec ce qui est d’usage populaire, quotidien, avec un talent et une inventivité qui ne se démentira pas. Il suffit pour s’en convaincre de regarder Pliage (1968) et 2 Chemisette de la même année, où la toile pliée et redépliée, garde la trame quadrillée de l’amidon. Dans la même veine, deux autres Pliage de 1975, s’avèrent libres de toutes les contraintes du format tableau : les carrés de tissus aux coins ou quadrillage travaillés à l’acrylique, sont déformés par le poids de la peinture et c’est magnifique.

On verra d’autres formats de tissus récupérés, plus grands (rideaux, tentures, toiles d’ameublement), que Saytour assemble, colle ou coud, plie, ce qui les « tatoue » par le contact recto-verso, d’amidon ou de peinture acrylique (Pliage de 1969 à 1974).

En avançant toujours chronologiquement, on découvrira également son humour par rapport aux dogmes de la peinture. Voici une série de filets de pêche. La caractéristique de la série Cerceau, de 1978, c’est que les larges mailles remplacent le tissage serré de la toile et qu’en guise de « motifs », Saytour y coud des boules de carnaval en papier par exemple. Le cadre traditionnel du tableau réapparaît (car comment la texture fluide des filets tiendrait-elle ?) mais sous forme d’un câble métallique, incurvé, qui donc renvoie à l’origine de l’outil de pêche.

Patrick Saymour s’avère aussi à l’aise dans le détournement de l’élément traditionnel du tableau classique : le cadre. Un ensemble magnifique de ces déclinaisons, les Enrubanné (1970) en donnent la preuve, allant jusqu’à flirter avec le minimalisme. Un peu de toile grossière enroulée autour des bois, un enduit partiel à la peinture rouge (ce sont de hautes tiges appuyées au mur), ou les angles d’un triangle assemblé à la ficelle, peints en marron. C’est tout et c’est magnifique.

Quelques pièces dans l’exposition sont de si grand format que l’on peut parler d’installations. Saytour, non content d’avoir fait l’école des beaux-Arts de Nice, a fait ses débuts comme metteur en scène (cela se sent ici), avant de rencontrer, à Nice, sa ville natale, les Viallat, Dezeuze, Valensi ou encore Toni Grand, intégrant alors le mouvement Supports/Surfaces.

Elles résument l’usage de matières du quotidien (des rideaux, des tentures, voire des tissus spécialisés comme le filet de camouflage des chasseurs). Les bois de cadre devenus perches, sont posés contre les tissus juxtaposés et de la fausse fourrure (ou lainage), que Saytour a utilisé par la suite pour des pièces qui reviennent au format du tableau carré et à la préparation par lignes quadrillées du motif du tableau en peinture classique (trois Camouflet, 2011).

L’exposition monographique de Patrick Saytour, à la galerie Ceysson & Bénetière,
est encore à voir jusqu’au 23 novembre au 13-15 rue d’Arlon à Koerich/Wandhaff ; ouvert du mercredi au samedi de midi à 18 heures et sur rendez-vous ;
www.ceyssonbenetiere.com

Marianne Brausch
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