Fallacieux débats sur les retraites

d'Lëtzebuerger Land du 25.07.2025

Les dirigeants de la France et du Luxembourg s’efforcent de convaincre leurs opinions respectives qu’il faut réformer le système des retraites – en clair, travailler plus longtemps – pour être certain de pouvoir continuer de verser les pensions à l’avenir. Si le détail des modifications proposées diverge, ces réformes partagent le même défaut : celui d’assumer que les conditions régnant sur cette planète, celles qui permettent aujourd’hui de dégager les surplus nécessaires au paiement des retraites, existeront telles quelles d’ici cinq, dix, vingt ou trente ans. Le pari est que l’argent cotisé aujourd’hui aura à l’avenir un pouvoir d’achat comparable, et que les montants seront transposables sans risque d’erreur. 

Il s’agit là, en l’état des politiques climatiques, qu’elles soient nationales, européennes ou mondiales, d’un pari plus que risqué. Car la prétendue rationalité économique dont se targuent les exécutifs fait donc l’impasse sur les réalités géophysiques. Au lieu de s’organiser pour affronter la transition écologique, la société est invitée à plonger dans des débats hyper-techniques sur le financement des retraites, avec au passage l’opportunité, pour les gouvernements, de monter tel groupe de salariés contre tel autre, et de faire ainsi diversion. 

Travailler plus longtemps, une notion présentée comme une évidence comptable, est en réalité une aberration adossée au mythe de la croissance infinie et à son pendant, la surconsommation. Sans même parler du fait que contraindre les personnes âgées, plus vulnérables, à blanchir plus longtemps sous le harnais est aussi fondamentalement injuste.

En France, le gouvernement a soutenu que la réforme, en plus de garantir la pérennité des retraites, permettrait de dégager des marges de manœuvre pour ses politiques publiques en matière d’enseignement, de santé et de transition écologique. Mais cette affirmation ne tient pas la route : Les excédents supposés résulter de la réforme ne sont pas censés être disponibles pour ces autres politiques. En outre, il est incompréhensible de vouloir passer par un allongement de la durée du travail pour financer la transition alors que, par ailleurs, les gouvernements continuent de subsidier les énergies fossiles, en maintenant par exemple la non-taxation du kérosène ou, au Luxembourg, en laissant traîner en longueur l’exit du tourisme à la pompe. Les débats sur les retraites sont une facette de l’obsession qu’entretiennent nos sociétés préservant à tout prix un statu quo pourtant intenable. 

Une autre dimension climaticide des réformes envisagées tant en France qu’au Luxembourg est qu’elles pourraient bien encourager voire contraindre une part croissante des salariés à se tourner vers des systèmes par capitalisation. Lorsqu’on voit à quel point il s’avère délicat, au Luxembourg, de faire en sorte que le Fonds de Compensation renonce aux investissements dans les énergies fossiles, on imagine la difficulté pour forcer les fonds de pension privés à abandonner de tels placements.

Les outils ne manquent pas, pourtant, pour mettre le monde du travail et les retraites en phase avec les impératifs écologiques. C’est au contraire, en décidant de travailler moins, tant par semaine, par an ou sur l’ensemble de sa carrière, que les sociétés peuvent se donner les marges de manœuvre dont elles ont besoin pour amorcer les transformations requises. Il faut repenser ce que l’on produit, à quel escient et dans quelles conditions, plutôt que de chercher par tous les moyens à remplir les caisses. Une autre piste trop souvent négligée est celle du revenu universel garanti, qui, logiquement étendu aux seniors, permettrait aux citoyens de bénéficier d’une sécurité financière minimale pour pouvoir participer personnellement aux immenses chantiers de la décarbonation et de la restauration des systèmes naturels, plutôt que d’attendre que ceux-ci soient lancés et gérés exclusivement par les administrations. 

Jean Lasar, r
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