Blanchiment et profession d‘avocat

Régime spécial

d'Lëtzebuerger Land du 15.11.2007

Un avocat du barreau de Luxembourg, à la déontologie un peu légère, a eu beaucoup de chance. Il a été récemment acquitté par la Cour d’Appel de Luxembourgdes faits de violation de la loi du 12 novembre 2004 sur le blanchiment en raison des errements du texte. Il n’a pas pu échapper toutefois à ses juges qui l’ont condamné à 1 250 euros d’amende pour infraction à la loi de
1999 sur la domiciliation (Land du 29 juin 2007), confirmant ainsi une décision de première instance intervenue en mai 2006.

Ce n’est pas la première fois que le dispositif anti-blanchiment en vigueur au grand-duché montre des faiblesses, malgré le discours lénifiant des autorités, qui jurent de la supériorité de l’arsenal luxembourgeois édifié en 1989 et toiletté à plusieurs
reprises, au gré des intérêts de la place financière et des obligations internationales du pays. Les deux présentant parfois des mélanges explosifs.

L’arrêt prononcé le 16 octobre est une des rares décisions qui débroussaille les obligations des avocats en matière de lutte contre le blanchiment. Avant 2004, cette gente n’était pas concernée par la traque de l’argent sale ; le métier d’avocat, qui est celui de défendre jusqu’au pire des criminels, ayant longtemps été considéré comme non dissoluble dans la lutte contre les capitaux
douteux.

L’avocat incriminé est tombé un peubêtement. Suite à une demande d’entraide des Allemands, qui traquaient les capitaux de la prétendue mafia russe, les enquêteurs opèrent en juillet 2005 une perquisition au siège de la société domiciliée à son étude. L’enquête montrera toutefois les liens particuliers qu’il entretiendra avec cette société : il ne sera que le sous-traitant d’une grosse fiduciaire, soumise à des contraintes plus lourdes que les avocats, qui n’avait pas envie de se salir lesmains avec certains de ses clients encombrants. Lors de leur descente, les policiers ne trouvent nulle trace des documents comptables et des pièces
renseignant de l’identité des bénéficiaires économiques du holding, formalité que la loi de 2004 imposait pourtant à l’avocat domiciliataire.

Celui-ci invoqua l’ambiguité du dispositif législatif : Les règles sur la domiciliation de sociétés, soutint-il, ne seraient pas énoncées de manière suffisamment précise pour permettre au citoyen, censé connaître les lois, de régler sa conduite.

Le juge d’instruction l’envoya quand même devant les juges pour deux préventions principales : violation de la loi du 31 mai 1999, qui oblige les domiciliataires à certains devoirs de diligence, et infraction à la loi de 2004 sur le blanchiment et le financement du terrorisme.

La première infraction ne fit pas l’ombre d’un doute aux yeux des premiers et des seconds juges, qui eurent à s’occuper de l’avocat. Une circulaire du bâtonnier de l’ordre des avocats de Luxembourg avait d’ailleurs précisé les droits et les devoirs de ses membres officiant dans l’industrie des sociétés boîtes-aux-lettres, de sorte que l’ignorance de l’avocat était difficilement défendable. Le prévenuétait aussi accusé d’avoir enfreint les dispositions de la loi de 2004 notamment sur les obligations professionnelles des avocats en matière de lutte contre le blanchiment. Le dispositif « oblige » les avocats qui « assistent leur clients dans la préparation ou la réalisation de transactions (et/ou) la constitution, la domiciliation, la gestion ou la direction de fiducies, de sociétés ou de structures similaires ».

Mais, a dit la Cour en substance, si la domiciliation de sociétés par les avocats est suceptible de tomber dans le champ d’application de la loi du 12 novembre 2004, « encore faut-il que les avocats ‘assistent leur client…’. Et dans ces cas seulement, ils peuvent, selon l’interprétation stricte de la loi, exiger l’identification de leur client. C’est ici que le bug se situe.

Mieux vaut citer l’interprétation de la juridiction d’appel dans le texte : « Il ne résulte d’aucun élément du dossier que l’actuel prévenu serait d’une manière quelconque intervenu en tant qu’avocat prodiguant ses conseils ou services juridiques pour la préparation ou la réalisation de la domiciliation de la société X. Il ne saurait dans ces conditions être exigé de l’actuel prévenu de satisfaire aux obligations d’identification concernant la société X. S’il était dans les intentions du législateur d’imposer à
l’avocat de satisfaire dans tous les cas et de manière inconditionnelle aux obligations d’identification spécifiées à l’article 3 de la loi du 12 novembre 2004, toutes les fois qu’il accepte d’être domiciliataire d’une société, il lui aurait incombé demodifier en ce
sens la loi du 31 mai 1999 (sur la domiciliation, Ndlr) ».

Ce qui veut dire que le législateur a devant lui un vrai chantier pour parfaire le dispositif. Une chance que la 3e directive
« blanchiment » ait été mise sur l’agenda des députés. Le ministre de la Justice Luc Frieden plaidait pour une transposition a minima du texte, estimant que le pays était pour l’essentiel en conformité avec les nouvelles règles imposées par Bruxelles et le Gafi. Ça lui apprendra.

D’abord ce n’était pas vrai. Il va sans doute être obligé de sortir les bulldozers pour revoir l’arsenal antiblanchiment. Et cette fois, les banquiers ne sont pas contre. Ils viennent de faire savoir leurs bonnes dispositions à transposer toute la 3e directive plutôt que des petits morceaux. L’arrêt du 16 octobre revient aussi sur le principe de la spécialité de la perquisition : le procureur avait-il le droit d’exploiter les éléments de la CRI pour ouvrir sa propre enquête contre l’avocat. La loi du 8 août 2000 limite l’utilisation des renseignements obtenus par voie d’entraide à la seule procédure pénale ou administrative pour laquelle l’entraide a été accordée.

Sur le plan purement domestique, rien n’interdit toutefois, a rappelé la juridiction d’appel, à éplucher les documents et s’en servir pour épingler des infractions. « L’utilisation, a dit la Cour, dans le cadre d’investigations nationales (…) des renseignements
obtenus à l’aide de la perquisition et de la saisie opérées régulièrement en exécution d’une commission rogatoire internationale, n’est donc pas restreinte par la règle de la spécialité ».

Véronique Poujol
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