Shirley Valentine

L’herbe est toujours plus verte ailleurs

d'Lëtzebuerger Land du 02.12.2011

Au Théâtre ouvert Luxembourg (Tol), l’acteur et psychologue de formation Fréderic Frenay met en scène la directrice artistique du théâtre, Véronique Fauconnet, qui se mue pour l’occasion dans le rôle de Shirley Valentine. La pièce éponyme écrite par l’auteur anglais Willy Russell en 1986 avait rencontré un franc succès lors de sa sortie. Une fois implanté à Londres, 324 représentations ont été montées, d’abord avec Pauline Collins dans le rôle principal, puis avec Ellen Burstyn qui a repris la relève.

Vingt-cinq ans plus tard, et plus d’une décennie après que Franz-Josef Heumannskämper eut mis en scène Josiane Peiffer dans le rôle au Capucins, Véronique Fauconnet s’empare de ce rôle d’une femme au foyer en pleine crise, qui se voit offrir par une de ses copines un voyage en Grèce pour échapper à son quotidien maussade. Shirley Valentine est à la fois une comédie et un monodrame. On ne peut s’empêcher de rire de cette femme qui parle aux murs la plupart du temps et qui se sert de la résonance de l’intérieur du frigo pour imiter la voix de son fils Brian quand il a joué au théâtre de l’école un Joseph égocentrique qui n’est jamais arrivé à Bethlehem. La comédie sert ici à mettre un voile protecteur entre la triste réalité quotidienne de cette femme et celle du public. Monter cette pièce à l’intérieur des frontières du Luxembourg, pays conservateur et cage dorée par excellence, n’est certes pas une fausse piste, même si le texte a perdu un peu de son actualité. La mise en scène, le décor et les costumes (Jeanny Kratochwil) cherchent à conférer une dimension universelle à cette pièce et à parer de cette manière contre le vieillissement du texte.

Ainsi, l’intérieur du salon de Shirley Valentine, seul et unique décor, est gris, tout comme l’ensemble du mobilier présent dans le décor. Dans cette mare grise qui est synonyme de la répétitivité du quotidien, des touches bleues claires s’insèrent comme des lueurs d’espoir : le ticket d’avion pour la Grèce, le vin dans le verre de Shirley qui finira par dégouliner sur le mur à la manière d’un dripping de Pollock, la petite valise et le passeport de Shirley, et enfin l’intérieur du frigo dans lequel elle s’enferme, vêtue du sous-vêtement en soie offert par la voisine qui la félicite de son pas vers la liberté dont était à l’époque encore synonyme le soleil grec.

Cette histoire nous est présentée avant tout comme une lutte pour la liberté, alors que dans le texte il s’agit avant tout d’une lutte d’une quadragénaire contre son vieillissement et contre sa condition de femme au foyer qui prépare le repas pour son mari tous les jours à la même heure. Ainsi, le pari de miser sur le côté universel de la pièce n’est qu’à moitié réussi, car il est impossible de déraciner la pièce et de donner par ce moyen moins d’importance au contexte historique dans lequel elle est ancrée.

Ceci ne fait tout de même pas perdre son éclat au sens du texte. La perte des idéaux de cette femme, ainsi que le rêve de redevenir jeune, de tomber à nouveau amoureuse, de vivre l’aventure grecque avec sa copine touche toujours. Ce sont avant tout les digressions dans lesquelles Shirley se perd qui sont les plus émouvantes. Quand elle raconte son parcours scolaire, ses frustrations face à une institutrice qui lui a endoctriné qu’elle n’ira pas loin dans la vie, ainsi que sa jalousie vis-à-vis de Marjory, l’élève modèle, la jeune fille très belle qui réussit en tout alors qu’elle ne réussit dans rien, c’est ce manque de confiance en soi qui est frappant et qui se voit rééquilibré lors d’une rencontre avec Marjory une vingtaine d’années plus tard.

La capacité de l’homme de projeter la réussite sur les autres et le néant sur soi-même est rendu d’une manière frappante dans cette pièce, et constitue le frein essentiel de la quête individuelle de la liberté. Shirley rêvait de devenir hôtesse de l’air, de voyager, de voir d’autres pays. Par conséquent, elle assume que l’objet de ses désirs, à savoir la vie de Marjory, doit être celle de laquelle elle rêve. Quand elle apprend que Marjory n’est pas hôtesse de l’air mais pute de luxe, un lien amical très profond se lie entre ses deux anciennes rivales. Marjory, qui avait calqué le même type de projection sur la vie de Shirley, se voit réconfortée dans son image qu’elle a d’elle. Une fois les egos caressés dans le sens du poil, une amitié devient possible. Et Shirley commence à se poser la question si la liberté se trouve vraiment en Grèce. Un doute que Véronique Fauconnet arrive à jouer de manière crédible sur les planches du Tol.

Shirley Valentine de Willy Russel ; texte français de Denyse Périez, mis en scène par Frédéric Frenay, avec Véronique Fauconnet ; décor et costumes : Jeanny Kratochwil, une production du Tol ; dernières représentations ce soir 2 décembre et demain, samedi 3 décembre, à 20 heures ; informations : www.tol.lu.
Thierry Besseling
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