Lettre à la rédaction

Quand l’arrogance du pouvoir fait perdre le nord

d'Lëtzebuerger Land du 23.04.2021

Le 8 avril 2021 le Statec a annoncé une augmentation-record : « Au quatrième trimestre 2020, les prix des logements (appartements et maisons confondus) ont augmenté de 16,7 % par rapport au quatrième trimestre 2019, ce qui constitue une nette accélération des taux observés les trimestres précédents ». Ma génération de primo-acquéreur voit son pouvoir d’achat immobilier fondre sous ses yeux. Même si cette hausse nous choque et déprime, nous sommes encore plus effrayés par l’inaction politique !

Au lieu d’agir ou de se consulter avec les différents acteurs immobiliers afin de changer la donne, Monsieur Henri Kox, ministre du Logement, passe sa semaine en rédigeant une lettre à la rédaction du Land. Dans cette lettre le ministre n’annonce ni de nouvelles mesures ou de nouvelles idées, non, tout d’abord il rabroue le journaliste et défend des mesures déjà présentées il y a quelques mois, mais amorties par la suite.

Mais revenant à l’édito du 9 avril 2021, qui a pris toute l’attention de Monsieur le Ministre.

Dans cet édito Monsieur Bernard Thomas s’est inspiré de la théorie de Henry Georges pour expliquer que le foncier n’est pas un produit comme un autre, vu que « la valorisation du foncier, ressource finie, dépend de l’effort public et collectif ». Tout à fait à juste titre Monsieur Bernard Thomas conclut que le propriétaire recueille uniquement les fruits de cet effort collectif. Il termine son édito en citant un passage du Manifeste de 1848 rédigé par Marx et Engels. Même si le futur ne peut pas être inspiré par les théories de Marx ou d’Engels, mais plutôt par des théories progressistes comme celles de Maja Göpel ou Kate Raworth, cette citation a néanmoins bien étoffée l’édito.

Or, non seulement la réaction elle-même de Monsieur le Ministre m’effraye mais aussi la glorification qu’il fait et a déjà fait à plusieurs reprises, de l’absolutisme du droit de la propriété. Selon Monsieur le Ministre le droit à la propriété, surtout celui à la propriété foncière, doit être un droit absolument absolu, et intouchable.

Or, qui suis-je, petit jeune habitant du Luxembourg, à me lancer dans un discours si théorique et juridique ? Alors accordons la parole à l’ancien juge de la Cour constitutionnelle allemande, Monsieur Wolfgang Böckenförde, qui a écrit : « Die Sicherung unbegrenzter Eigentumsakkumulation ist nicht Inhalt der Eigentumsgarantie » – donc cette position juridique de Monsieur Kox ne fait pas unanimité au sein de la doctrine juridique actuelle.

D’autant plus que si les théoriciens économiques du XIXème siècle ne permettent pas de résoudre les problèmes du XXIème siècle, ceci devrait aussi être vrai pour des concepts si théoriques et abstraits que les concepts juridiques.

Dernièrement, au lieu de glorifier le Pacte Logement 2.0, Monsieur le Ministre ferait mieux d’expliquer aux habitants pourquoi il a baissé par ses amendements gouvernementaux l’article 10 du Pacte Logement 2.0. Le projet initial a prévu que trente pour cent des surfaces constructibles d’un PAP devraient être cédés par un promoteur privé au pouvoir public. Maintenant ce taux s’affiche à vingt pour cent et les amendements ne contiennent aucune explication – étrange pour un tel projet phare.

En outre, on ne sait guère comment Monsieur Kox veut prévenir que la moins-value réalisée par les promoteurs privés sur la partie qu’ils doivent céder au pouvoir public, est compensée par une augmentation des prix sur les lotissements restants du projet afin de stabiliser ou agrandir leur plus-value. À la fin du compte le Pacte Logement 2.0 risque de procurer des logements abordables à vingt pour cent de la population en rendant le logement d’autant plus cher pour le reste.

Donc au lieu de réagir aux éditos, Monsieur Kox ferait mieux de se concentrer sur la crise du logement qui devrait, s’il se sentait responsable, exiger toute son attention.

Max Leners
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