Depuis des années. Amnesty International avait identifié un problème endémique sur Twitter : une prévalence très élevée des attaques contre les femmes. En l’absence d’enclos que représentent les cercles d’amis sur d’autres réseaux sociaux, le niveau d’agressivité auquel tout utilisateur est exposé de la part de parfaits inconnus et de bots sur la plateforme de micro-blogging est certes très élevé pour tous. Mais l’organisation de défense des droits de l’homme avait identifié, sur la base de nombreux indices, une véritable culture du harcèlement sexuel sur la plateforme qui avait pour effet de décourager de nombreuses femmes d’y publier leurs témoignages et leurs opinions. Las, Twitter n’a jamais jugé bon de donner suite aux demandes d’Amnesty International de lui fournir des données sur ce fléau. Et ce alors que, compte tenu du rôle que joue désormais Twitter dans le débat public un peu partout dans le monde, il en est devenu une véritable entrave à la liberté d’expression. Face à l’inertie de Twitter, Amnesty a alors décidé de prendre les choses en main et d’effectuer ses propres recherches.
C’est une démarche qui est tout sauf simple. Il y a d’abord la définition de ce qui relève de l’agression sexiste, qui peut aller de l’insinuation perfide à l’insulte caractérisée. Les pires attaques sont souvent effacées : dans ce cas, la blessure reste, mais le corpus delicti est introuvable. Il y a ensuite la masse d’informations à traiter, susceptible de décourager les enquêteurs les plus motivés. À juste titre, Amnesty a considéré que pour aborder ce problème, il fallait se munir des mêmes outils que ceux dont disposent les plateformes pour gérer leurs gigantesques flux d’informations. Pour effectuer sa recherche, l’organisation a fait appel au crowdsourcing pour créer un corpus, et à une firme spécialisée dans l’intelligence artificielle, pour former ce qu’elle a nommé sa « troll patrol ». « Nous avons construit la plus grande base de données au monde en crowdsourcing sur les attaques en ligne contre les femmes. Nous avons les données qui prouvent ce que les femmes nous ont longtemps dit : que Twitter est un endroit où le racisme, la misogynie et l’homophobie ont pratiquement quartier libre », a déclaré Milena Marin, responsable de recherche chez Amnesty.
L’étude, menée par 6 500 volontaires issus de 150 pays, a porté sur 778 femmes journalistes et politiques aux États-Unis et en Grande-Bretagne. Elle a constaté que 7,1 pour cent des tweets qui leur ont été adressés en 2017 étaient sinon franchement attentatoires du moins problématiques. Les femmes de couleur avaient 34 pour cent de chance de plus d’être agressées que les autres, avec un tweet sur dix reçus relevant de ces catégories contre un sur quinze « seulement » pour les tweeteuses blanches.
Après que les volontaires eurent identifié un corpus de 228 000 tweets, celui-ci a été transmis à l’entreprise d’intelligence artificielle Element AI pour les analyser et modéliser les pratiques problématiques sur Twitter. L’étude démontre ainsi que les femmes noires avaient 84 pour cent de chances de plus que les autres d’être agressées, les femmes d’origine asiatique étaient celles qui risquaient le plus de recevoir des insultes de type ethnique, racial ou religieux, tandis que les femmes latinos, moins exposées que les femmes blanches aux tweets attentatoires ou problématiques, avaient eu le plus droit à des tweets physiquement et spécifiquement menaçants. Enfin, l’étude a montré que les politiques identifiées à gauche étaient plus exposées – 23 pour cent de plus – à ces attaques tweetées que celles catégorisées à droite, tandis que l’inverse était vrai pour les journalistes, pour lesquelles le fait de travailler pour des publications de droite leur valait un risque 64 pour cent plus élevé d’être invectivées.
Loin de s’offusquer de cette initiative, Twitter a salué l’effort d’Amnesty International, s’engageant à un effort accru de transparence sur ces questions. Il n’en reste pas moins que les tweets agressifs sont clairement contraires à ses conditions d’utilisation et que c’est la plateforme elle-même qui aurait dû prendre le problème à bras-le-corps.