Le Belgo-Luxembourgeois Stéphane Roussel organise Opéra-Monde, un projet d’exposition sur les relations entre l’opéra et les arts visuels, au Centre Pompidou Metz en juin

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d'Lëtzebuerger Land du 17.05.2019

« Ce n’est pas une exposition sur la scénographie ! », insiste Stéphane Roussel. Opéra-Monde, l’exposition dont il assure le commissariat au Centre Pompidou-Metz et qui ouvre fin juin, va montrer les interrelations qui existent entre le monde de la musique et celui des arts visuels, « et je voulais voir comment l’opéra influence tout l’imaginaire direct des créateurs, même ceux qui ne travaillent pas pour l’opéra. »

Stéphane (Ghislain) Roussel est Belgo-Luxembourgeois. Né en 1974 à Charleroi, il grandit au Luxembourg et fait toute sa scolarité ici. Bien que sa formation et son parcours professionnel l’amènent en France et dans le monde, il a choisi d’installer son quartier général à Mamer, où se trouve désormais le siège de sa structure artistique Projeten, qui « s’attache à la création de projets et de formes pluridisciplinaires théâtrales, opératiques, performatives, muséales, curatoriales ou imaginaires »1. Sa pratique personnelle se situe constamment entre les mondes : violoniste, il a poursuivi des études en musicologie et histoire de la musique, notamment à Paris. Aujourd’hui, il est à la fois auteur et metteur en scène de spectacles – on se souvient de ce bouleversant monodrame Monocle – Portrait de S. van Harden avec Luc Schiltz en 2010, puis de Golden Shower, Wonderful de luxe ou La parure –, et commissaire d’expositions (au Luxembourg : Ne me touche pas, à la Villa Vauban en 2004). C’est cette interdisciplinarité qui l’a mené, au début de sa carrière, à la Cité de la musique à Paris, où il fut assistant d’une certaine Emma Lavigne – l’actuelle directrice du Centre Pompidou-Metz. Vingt ans plus tard, cette même Emma Lavigne, connaissant la passion de Stéphane Roussel pour ces deux mondes2, lui proposa donc d’assurer le commissariat d’une grande exposition thématique sur le sujet. Opéra-Monde – La quête d’un art total s’ouvrira le 21 juin.

Nous nous retrouvons un samedi après-midi aux Rotondes, où Stéphane Roussel est en train de répéter Drawing on Steve Reich3, un spectacle sur l’expérience synesthésique et la musique sérielle, qui sera joué début juin à Bonnevoie, juste avant que ne commence l’accrochage à Metz – mais le catalogue, qui fera plus de 300 pages, est déjà parti à l’imprimerie. Roussel revient de Venise, où il a assisté au vernissage de la Biennale d’art, et apprécié le pavillon luxembourgeois, assuré cette année par Marco Godinho avec Written by water (voir page 39). Roussel a cette faim insatiable de nouveauté, poursuit constamment sa quête de savoir ce que les arts nous font et comment reproduire ces sensations. C’est pour cela qu’il souligne que l’exposition messine n’est pas un banal alignement de documents et maquettes sur des scénographies historiques d’artistes plasticiens pour des opéras de légende. Mais, comme jadis Harald Szeeman et sa célèbre exposition Der Hang zum Gesamtkunstwerk, en 1983 à Zurich, Roussel veut donner à voir cette « quête d’un art total » que poursuivent les créateurs qu’il admire.

C’est pour cela aussi que la scénographie dans la galerie du troisième étage du Centre Pompidou Metz sera assurée par une artiste venant du monde du théâtre et de l’opéra, la Polonaise Małgorzata Szczęśniak, qui travaille depuis toujours avec Krzysztof Warlikowski. Dès le foyer d’entrée, on retrouvera ainsi son énorme gorille, créé en 2007 à l’Opéra Bastille à Paris, pour L’affaire Makropooulos de Warlikowski. Dans l’exposition, le visiteur déambulera dans un labyrinthe, structuré en actes, comme un opéra : « Je veux construire un opéra », « Ma peinture est ma scène » ou « Corps opératique », avec des chapitres entiers consacrés aux meilleures mises en scène de la Zauberflöte de Mozart (en allemand dans le texte) ou à Einstein on the Beach de Philip Glass et Steve Reich, pour dix stations en tout.

Si l’opéra fascine tant, c’est parce qu’il s’agissait initialement d’un divertissement populaire, rappelle Gérard Mortier dans la préface du livre de Roussel, fonction désormais dévolue au cinéma, alors que l’opéra, lui, devient de plus en plus dispendieux et extravagant depuis le début du XXe siècle. Entre les gages des chanteurs solistes, de l’orchestre et du chœur, la construction des décors et la technique, la production d’un seul opéra peut désormais facilement atteindre le million d’euros. L’Opéra National de Paris a un budget annuel de plus de 200 millions d’euros4, le Royal Opera House de Londres 160 millions et la Monnaie de Bruxelles quand même toujours de 45 millions (contre 17 millions pour Les Théâtres de la Ville de Luxembourg, qui assurent aussi une programmation-production de théâtre et de danse). « La grande question sur où va l’opéra aujourd’hui est institutionnelle », estime Stéphane Roussel. « C’est hyper-cher de produire un opéra. Regardez Les Huguenots de Meyerbeer : il faut 350 personnes pour le monter… C’est une véritable entreprise qui se met en marche ! » Le corollaire de tout cet argent qui est en jeu, c’est une pression économique énorme, donc la disponibilité de prendre des risques artistiques diminue : les opéras engagent des chanteurs-stars pour s’assurer que le public afflue et contribue à financer le spectacle. Une maison britannique comme le Royal Opera House a un taux d’autofinancement de presque 80 pour cent, contre 22 pour cent pour la Monnaie. Mais les prix des billets se situent alors dans la catégorie supérieure, entre 80 et cent euros la place, excluant les franges populaires du public. « La forme handicape tout », regrette Roussel, pour qui il devient de plus en plus urgent que tout le milieu se remette en question et réfléchisse à une refonte de l’institution opéra. Une modernisation qui irait des infrastructures – la plupart des opéras sont des salles à l’italienne, avec vue frontale, limitant la créativité des metteurs en scène et des scénaristes – jusqu’à une meilleure prise en compte des femmes dans ce milieu traditionnellement réservé aux hommes.

Opéra-Monde montre les réussites dans la collaboration entre plasticiens, compositeurs et metteurs en scène, « de Wagner à aujourd’hui » : Pascal Dusapin et James Turell, Luigui Nono et Renzo Piano, le travail de l’esthète Romeo Castellucci pour Moses und Aron de Schönberg, Hermann Nitsch, Oskar Kokoschka ou William Kentridge. « Je voulais aussi voir comment l’opéra, malgré sa forme rigide, va influencer tout l’imaginaire des créateurs », explique Stéphane Roussel. C’est pour cela qu’il a intégré Matthew Barney, par exemple, qui n’a jamais travaillé dans l’opéra, « mais dont le travail est très opératique ». Le commissaire a aussi eu carte blanche pour la programmation connexe à l’exposition et organise aussi bien des projections de films que des spectacles vivants, que ce soit au Centre Pompidou-Metz ou via des « satellites » qui auront lieu hors les murs, à l’Opéra de Metz, à l’Opéra de Paris (l’exposition messine entre en résonance avec le 350e anniversaire de l’institution), voire, même, à la Philharmonie au Luxembourg (dans le cadre du prochain festival Rainy Days). L’exposition se terminera par une ouverture sur le monde, avec une partie consacrée à l’Operndorf de Christophe Schlingensief (mort en 2010, mais sa veuve, la scénographe Aino Laberenz, continue le travail) au Burkina Faso. « Pour moi, continue Stéphane Roussel, l’aspect politique est un sujet important en rapport avec l’opéra, qui est de plus en plus un miroir du monde. » Alors que le public, lui, reste extrêmement conservateur. Pour Roussel, il est essentiel de réfléchir sur comment reconnecter l’opéra avec sa contemporanéité ? Ou : comment faire bouger tout ça ? C’est pour cela que l’intervention des artistes-plasticiens dans ce milieu hyper-codifié de l’opéra intrigue tant Stéphane Roussel : « Les plasticiens et leurs univers demandent à tout le milieu de l’opéra de s’interroger. » Que ce soit par un déluge de moyens scéniques ou par un minimalisme esthétique qui caractérise les créations de lumières d’un Bob Wilson, les artistes demandent à tout le monde d’être plus flexible et de remettre en question ses certitudes. C’est alors une rencontre dont personne ne sort indemne.

1 Toute l’actualité de Stéphane Ghislain Roussel : http://projeten.eu/

2 Roussel avait entre autres consacré son mémoire de fin de formation à La rencontre entre Wassily Kandinsky et Arnold Schönberg, et coordonné un livre sur le sujet, avec Patrick Scemama : L’opéra au XXe siècle, Éditions Textuel, Paris, 2007; ISBN : 978-284597-238-4.

3 Drawing on Steve Reich est un projet de la Compagnie Ghislain Roussel, avec l’ensemble United Instruments of Lucilin, la danseuse Annick Putz et huit enfants et se jouera les 5 et 6 juin aux Rotondes : rotondes.lu/agenda/details/event/drawing-on-steve-reich/

4 source : revopera.com/financement-operas-europe-subventions-mecenat/

L’exposition Opéra-monde – La quête d’un art total, commissaire : Stéphane Roussel, dure du 22 juin 2018 au 27 janvier 2019 au Centre Pompidou Metz ; www.centrepompidou-metz.fr/.

josée hansen
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