Art contemporain

L’utopie comme intention

d'Lëtzebuerger Land du 05.04.2019

Rimaflow était la dernière grande lutte anticapitaliste et solidaire à laquelle participa Bert Theis, jusqu’à peu avant sa mort en 2016. Maflow était une usine de composants automobiles à Milan, qui travailla pour les grandes marques européennes, jusqu’à ce que, après une faillite frauduleuse, la production soit délocalisée en Pologne. Plus furieux que désemparés, les ouvriers italiens restés sur le carreau ont simplement décidé de réinvestir les locaux et de récupérer ce qui pouvait l’être des machines abandonnées pour relancer une production sur place : réutilisation, recyclage, nouveaux produits. Comme les Lip et Lejaby en France avant eux, les ouvriers faisaient ainsi un pied-de-nez aux propriétaires et aux politiques en prouvant que le véritable capital d’une usine, c’est eux.

Sous le titre Rimaflow, l’occupation et l’autogestion continuent toujours, l’usine faisant aussi office d’agora et de lieu culturel – mais les occupants restent menacés d’éviction. Forts de leurs expérience de militance d’abord à la Stecca – ancienne usine qu’ils occupèrent avec les moyens de l’art –, puis du jardin communautaire Pepe Verde, l’artiste luxembourgeois Bert Theis, sa compagne Mariette Schiltz et leurs amis artistes et militants participèrent avec enthousiasme et engagement à la lutte de Rimaflow.

Il fut donc évident que cette expérience serait au centre d’une exposition en hommage à Bert Theis que le Cercle-Cité organise actuellement dans le cadre des événements et expositions connexes à la grande rétrospective qui lui est consacrée au Mudam (voir page 17), événements-satellites organisés sous le titre Arcipelago Bert Theis. Les curateurs luxembourgeois Enrico Lunghi et italien Angelo Castucci ont été invités à sélectionner des artistes proches de Theis ou ayant un lien avec lui et son œuvre. Une exposition de groupe binationale fait sens, parce que ce fut une telle exposition d’échange, Rendez-vous provoqué, à l’époque avec les Pays-Bas, qui lança la carrière d’artiste conceptuel de Theis en 1994.

Or, parce que le Cercle-Cité, « le salon de la capitale » comme aime à le désigner la bourgmestre
Lydie Polfer (DP), est bien trop guindé pour un collectif ayant pour habitude de travailler dans des usines désaffectées et des lieux éphémères, le photographe luso-luxembourgeois Edmond Oliveira et la peintre Edith Poirier ont heureusement opté pour des présentations moins léchées. Oliveira s’est installé à l’entrée avec une installation volontairement anarchiste (un peu trop mise en scène) d’une mémoire visuelle de l’immigration portugaise. Edith Poirier montre ses tableaux documentant la lutte de Rimaflow sur un échafaudage provisoire, dominant ainsi majestueusement le grand espace. D’autres artistes italiens parlent de la vie urbaine – Edna Gee et ses costumes de pigeons –, des habitants du quartier Isola ou de l’utopie, si chère à Bert Theis. Bien qu’elle ne reste qu’un mot, un concept ici.

Les artistes luxembourgeois ont été sélectionnés pour leur proximité avec Bert Theis, comme Simone Decker, qui avait participé avec lui à Rendez-vous provoqué, le duo Markiewicz-Piron, qui l’avait interviewé pour leur site Kulturstruktur (voire, à l’époque, travaillé avec lui dans le magazine Salzinsel), ou les récipendiaires de la bourse Bert Theis, Jeff Weber et le collectif Common Wealth, autour de Claudia Passeri (qui, par ses tracts et ses diapos s’intègre le mieux dans l’idée d’ébauches de la lutte). Mais dans son ensemble, l’exposition est trop classique et visuellement surchargée. Ou pour le dire avec les idéaux de Bert Theis : ça manque un peu de palmiers.

L’exposition F(l)ight sketches – for Bert Theis dure encore jusqu’au 5 mai au Cercle-Cité ; ouvert tous les jours ; cerclecite.lu.

josée hansen
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