Filip Markiewicz, Le retour du plombier polonais

We’re fucked – Let’s dance !

d'Lëtzebuerger Land du 09.05.2014

Parmi tous les modes d’expression possibles, c’est le film qui a actuellement le vent en poupe parmi les artistes contemporains. Grâce à la démocratisation des moyens de production – quelques milliers d’euros pour une appareil photo haute résolution et un ordinateur avec des programmes de montage son et image suffisent pour un résultat acceptable – on arrive vite à produire des images qui en jettent par le jeu sur la profondeur de champ. Le phénomène est tel que Bettina Heldenstein du Casino Luxembourg a même fait le choix de ne présenter que des vidéos d’artistes dans une exposition qu’elle organisera l’année prochaine à Berlin. Filip Markiewicz, artiste pluridisciplinaire s’il en est – il a commencé sa carrière en tant que star rock’n roll connue sous le nom Raftside –, se situe donc pile poil dans la mouvance en présentant, dans son exposition monographique Le retour du plombier polonais, actuellement à la galerie Nei Liicht à Dudelange, le premier court-métrage (seize minutes) d’une nouvelle série de travaux intitulé Low Cost Symphony (part I).

Après avoir fait ses premières expériences avec le média dans ses clips vidéo et les images animées pour les concerts de Raftside, il se lance ici dans la fiction : il a écrit le scénario, réalisé, monté et produit tout le film. Qui se situe en fait à la lisière entre réalité et fiction, entre politique et poésie. Le film a été réalisé durant sa récente résidence d’artiste à Paris et entremêle plusieurs récits : celui du réel pas très gai des Parisiens, notamment dans le métro (où un jeune homme, incarné par un Luc Schiltz lunaire, lit des extraits du Mythe de Sisyphe de Camus pour lui insuffler un peu de poésie et des musiciens ukrainiens essaient de capter un peu d’attention des voyageurs stressés), celui de la militance politique, avec des images d’une manifestation pour le droit au logement (où on rencontre notamment Jean-Luc Mélenchon) et celui d’une discussion entre un jeune homme (Pierre Olivier) et une jeune femme (Laure Roldan) dans un bar. À eux deux, ils portent un regard désillusionné sur un monde en perdition, où les nantis chantent Happy de Pharrell Williams alors que les enfants de Syrie semblent ne plus avoir d’espoir.

Ils discutent leurs idéaux oubliés, la culture pop (« heureusement, la révolution se fait sur Facebook »), la fin du rêve européen – bref, la rupture actuelle que ressentent les jeunes adultes dans un monde sans repères. Et le plus intéressant dans ce film est la forme : comme une urgence, une immédiateté, un côté expérimental que permettent la légèreté de l’équipement et le fait que l’artiste en contrôles toute les phases de la production lui-même, assumant les erreurs, même techniques, les décalages, les imperfections. Les revendiquant même. Zéro budget égal zéro contraintes, un peu comme une nouvelle Nouvelle vague. Gros-plans sur les mains, les dents, un détail par ailleurs, imperfection du montage sonore – Filip Markiewicz cherche ici à exprimer sa quête du monde comme il le fait dans ses dessins et ses installations dans les autres salles de l’exposition.

On y croise des animaux empaillés – le lapin très beuyssien, le sanglier très luxembourgeois, le coq ou le renard participent tous d’un bestiaire iconoclaste. Work – Dance – Love – Die ou Ora ... Labora et Revolution Factory sont écrits sur ses grands dessins où les image iconiques de travailleurs et de politiciens, des héros de la musique pop, des héroïnes politiques et des enfants désespérés se retrouvent dans ce qui semble devenir une grande fresque noire et féroce de notre Europe contemporaine qui a échoué. C’est ce que Christian Mosar appelle « une fosse commune visuelle qui n’est plus vraiment décryptée par le commun des mortels » et qui se nourrit de multiples références et hyperliens menant vers d’autres univers mentaux. Alors, vision pessimiste d’un monde en noir et blanc ? Filip Markiewicz est aussi une icône pop lui-même et se sert de ses codes (ses carrés colorés ludiques en sont un des détails) : c’est la fin du monde, qui nous a trompés, certes. Mais il nous reste toujours la musique et la danse. La danse sur le volcan.

L’exposition de Filip Markiewicz, Le retour du plombier polonais, à la galerie Nei Liicht, rue Dominique Lang à Dudelange, organisée dans le cadre du Festival de la culture industrielle et de l’innovation, dure encore jusqu’au 21 juin ; ouvert du mercredi au dimanche de 15 à 19 heures. Plus d’informations : www.centredart-dudelange.lu.
josée hansen
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