Indicateur du bien-être

Nouveau compas

d'Lëtzebuerger Land du 27.08.2009

Le terme développement durable vit un nouveau printemps et trouve sa consécration aujourd’hui par la création du ministère du Développement durable et des Infrastructures. Dans sa déclaration gouvernementale du 29 juillet à la Chambre des députés, le Premier ministre Jean-Claude Juncker (CSV) a usé et abusé de l’expression fourre-tout Nohaltegkeet  pour annoncer aussi le lancement d’un indicateur composite du bien-être. Mesurer ce qui se cache derrière les apparences, maintenant que les façades de Potemkine sont tombées. Car c’est au ministère de l’Économie (situé sous la rubrique « promouvoir la compétitivité ») qu’incombe la mise en place de ce « PIB du bien-être », dont l’idée avait d’ailleurs été lancée par le rapport controversé du professeur Fontagné en novembre 2004. 

Ce nouvel indice va plus loin que le Produit intérieur brut et servira à prendre le pouls du « progrès de la société et du bien-être dans une optique du long terme », comme le précise le programme gouvernemental. Or, les intentions de la coalition CSV/LSAP ne sont pas claires. Souhaite-t-elle se limiter à la compétitivité économique du pays ou veut-elle réellement savoir pourquoi l’argent ne fait pas le bonheur ? Rappelons dans ce contexte que le taux de suicide au Luxembourg se situe toujours au-dessus de la moyenne européenne. C’est pareil pour les décès dus à l’utilisation abusive d’alcool.

Ensuite, il faudra déterminer les composantes de ce nouvel indice. La France connaît par exemple le Bip 40, le baromètre des inégalités et de la pauvreté. Tout ce qui touche à la santé, la famille, le tissu social (les liens avec les amis et les relations personnelles), le travail et le chômage, la sécurité matérielle, les loisirs, la religion et la politique a une influence directe sur le bien-être des gens. L’environnement, l’éducation, la justice et le logement sont des paramètres indispensables qui permettent d’indiquer dans quelle mesure la génération d’aujourd’hui, habituée à manger avec avidité et sans plaisir, est en train d’hypothéquer l’avenir des générations futures. D’autant plus que la tendance se maintient bien – des études internationales montrent que de plus en plus de jeunes préfèrent la prospérité matérielle à l’épanouissement personnel.

Le grand-duché n’a pas de quoi parader. Selon une enquête publiée en mai 2009 par la New Economics Foundation (nef), le Luxembourg arrive en 122e position sur 143 pays, classé même en lanterne rouge du monde occidental. Les trois paramètres de cette enquête sont l’espérance de vie, le degré de satisfaction et l’empreinte écologique des populations. Selon ces derniers calculs, le Luxembourg aurait besoin de l’équivalent de cinq planètes pour subvenir à ses besoins – il se trouve au même niveau que les États-Unis et les Émirats arabes. Or, même si ses habitants y vivent comme des coqs en pâte, ils ne sont pas plus satisfaits pour autant. C’est le phénomène des diminishing returns, appelé ainsi par les économistes pour expliquer qu’une fois arrivés à un certain niveau, l’augmentation des revenus n’apporte pas davantage de bien-être.  

Le gouvernement a l’air d’avoir enfin découvert cette évidence, mais avec l’énergie du désespoir. Après avoir été ébloui par le mythe de la croissance économique, c’est un peu faute de mieux, maintenant que les caisses sont vides, qu’il se rend compte de l’existence d’autres paramètres et valeurs qu’il faudrait bien garder à l’œil. Il aurait gagné en crédibilité s’il avait lancé cette initiative pendant les années fastes, histoire de montrer qu’il avait gardé les pieds sur terre.  

anne heniqui
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