Retenue à la source

Rien que le minimum

d'Lëtzebuerger Land vom 17.04.2008

Le gouvernement ne retouchera pas en profondeur la loi sur la retenue à la source au niveau national. Probablement pas sous cette législature. Le dossier est à la fois trop sensible et trop compliqué pour qu’il s’y attaque sans risquer d’attirer l’attention sur les vraies intentions de la retenue à la source, inchangées depuis 2005.

Personne n’a perdu de vue que la retenue à la source devait servir deux grands objectifs que l’on préfère mettre en sourdine aujourd’hui, alors que l’incendie allumé au Liech­tenstein avec l’affaire LGT n’est pas encore éteint : le rapatriement des capitaux des Luxembourgeois placés à l’étranger et la venue au grand-duché de résidents fiscaux fortunés, attirés entre autres, par le bas niveau des prélèvements sur les revenus des capitaux et leur caractère libératoire. Une fenêtre de tir fut offerte aux autorités par la Commission européenne pour perfectionner un système désormais bien rodé qui a introduit pour la première fois au grand-duché une retenue de dix pour cent libératoire sur les intérêts de certains revenus de l’épargne. Le nouvel impôt a rapporté en 2007 près de 52 millions d’euros à la cagnotte de l’État. Mais incompatible avec le droit communautaire, parce qu’il différencie les résidents luxembourgeois qui ont leurs comptes à l’étranger (ils n’ont pas le droit à la retenue de dix pour cent et leurs intérêts peuvent être imposés au taux marginal maximal de 40,35 pour cent pour autant qu’ils dépassent 1 525 eu­ros par an pour un célibataire et 3 050 euros pour un contribuable marié), Bruxelles a demandé une mise en conformité du système. La Commis­sion européenne est intervenue en effet auprès du gouvernement luxembourgeois après une plainte d’un résident luxembourgeois qui avait un compte en Belgique. La plainte fut dé­posée le 27 décembre 2005, soit deux jours après l’entrée en vigueur de la loi sur la retenue à la source. Les services de la commission ne se sont pas fait prier pour la traiter avec la diligence qui s’imposait alors. « Je ne vou­lais pas, assure le plaignant contacté par le Land, porter l’affaire devant la justice, car la démarche aurait été lon­gue, chère et publique tandis qu’une plainte est gratuite ». Et assurément efficace. En revanche, la confidentialité de la procédure, à l’échelle luxem­bourgeoise, reste une autre affaire.La mise en conformité de la législation sur la retenue avec les standards communautaires aurait pu être mise à profit pour faire les ajustements demandés par des banquiers. Ces derniers avaient toutefois mis la barre de la réforme très haut. Relayés par la Chambre de commerce, ils réclamaient par exemple l’extension du prélèvement de dix pour cent à la source aux intérêts perçus à l’étranger, quel que soit le pays d’établissement de l’agent payeur. « Pour quelle raison accorder ce traitement aux intérêts perçus auprès d’une banque établie aux Îles Vierges Britanniques et le refuser aux intérêts perçus auprès d’une banque américaine ou canadienne ? », relève l’avis de la chambre patronale. Une revendication qui a des airs de famille avec une autre proposition soutenue par la communauté financière et qui serait d’étendre le bénéfice de la directive fille-mère sur l’exonération des dividendes de participations importantes à tous les pays avec lesquels le Luxem­bourg a signé une convention de non-double imposition et non pas seulement aux 27 de l’Union européenne. 

Celà-dit, la  voix de la place financière n’a pas été écoutée cette fois par les députés de la commission des finances et du budget. Il faut dire que le rapporteur du projet de loi a changé par rapport à 2005. Ce n’est pas Lucien Thiel, l’ex-directeur de l’Association des banques et banquiers Luxembourg qui a pris cette fois le dossier en main mais son collègue du CSV Norbert Haupert, désigné rapporteur du projet.  

Il y a encore une autre raison moins avouable, qui a obligé les députés à faire l’impasse sur les doléances du secteur financier : la Chambre de commerce a mis un temps fou à « produire » un avis, alors que la position de l’ABBL était connue et qu’au final, l’organisation patronale s’est contentée de faire un copier-coller de son pensum. La commission des finances et du budget avait pratiquement finalisé son rapport lorsque la position des banquiers lui fut soumise. Les députés n’ont pas eu le temps matériel d’intégrer les amendements du texte réclamé par le lobby financier, bien qu’ils font référence aux travaux de la Chambre de commerce. 

La lecture du rapport de la commission des finances et du budget sur le projet de modification de la loi du 23 décembre 2005, bouclé le 10 avril dernier, laisse supposer que les députés s’en tiendront au minimum requis : satisfaire au plus vite la Commission européenne en corrigeant les défaillances les plus voyantes, sans toucher fondamentalement au mécanisme en place depuis deux ans.  

La correction qui intervient ne présentait d’ailleurs pas de difficultés majeures pour le gouvernement. Ni pour les députés qui n’auront qu’à jouer les chambres enregistreuses. Il a fallu reprendre sur le métier les suggestions qui avaient été présentées en 2005 par le Conseil d’État lors des premières discussions de 2005 sur la retenue au niveau national. Les Sages avaient alors clairement laissé entrevoir l’incompatibilité d’un dispositif qui excluait de la retenue libératoire de dix pour cent les détenteurs de comptes à l’étranger, sans pour autant y mettre d’opposition formelle. Ce qui permis d’aileurs au texte de passer sans encombres. L’exclusion des intérêts provenant de dépôts dans des établissements étrangers avait d’ailleurs été soigneusement entretenue, comme l’illustre une des considérations du rapporteur du projet de loi en 2005, le député CSV Lucien Thiel. La loi avait été en effet conçue comme un « encouragement au rapatriement de l’épargne ». « Les Luxembour­geois, écrivait élégamment le député, qui ont placé leurs avoirs à l’étranger devront, selon le pays, à l’avenir soit payer le taux plus élevé fixé par la directive européenne (vingt pour cent à partir de juillet prochain et actuellement quinze pour cent, Ndlr), soit voir soumettre les revenus de l’épargne touchés à l’étranger, qui seront communiqués, dans le cadre de l’échange d’informations à l’Administration des contributions directes, aux taux de l’impôt sur les revenus pouvant aller jusqu’à 38 pour cent ». La pratique montre que ce taux peut même aller au-delà. Aucune indication n’a été fournie par les experts du ministère des Finances sur les montants des capitaux rapatriés, deux ans après l’entrée en vigueur de la loi, relève toutefois le député Vert François Bausch, membre de la commission des finances et du budget.

La volonté politique avait pourtant été affirmée au plus haut niveau de faire un geste supplémentaire pour la petite épargne et même aussi pour l’épargne un peu plus consistante des high net worth individuals, notamment une extension de la retenue à la source sur les dividendes. En décembre 2005, lors du vote du projet de loi sur la RTS nationale, les députés s’étaient déjà dit d’accord, dans le cadre d’une motion, de « procéder à un examen approfondi de la situation des revenus de capitaux des contribuables résidents », en vue d’étendre le dispositif ou même à relever le plafond des intérêts, actuellement fixé à 250 euros par personne et par agent payeur (banque), une fois qu’il aurait été prouvé que la machine fonctionnait bien. Ce qui n’est plus à démontrer. Jean-Claude Juncker, en sa qualité de ministre des Finances, relevait fin mars que le système mis en place en 2006 « fonctionne bien et a conduit à une imposition juste, raisonnable et efficace des intérêts de l’épargne ». 

Il faudra toutefois attendre les ajustements techniques que la Chambre des députés s’apprête à adopter pour que le tableau décrit par Jean-Claude Juncker devienne réaliste du point de vue de l’équité entre les citoyens, qu’ils aient leurs comptes épargne au Luxembourg ou à l’étranger. 

À presque un an des législatives, le gouvernement a provisoirement renoncé à ouvrir un grand chantier de la fiscalité des revenus du capital. Jean-Claude Juncker a laissé entrevoir, le mois dernier, une adaptation du seuil d’exonération de l’impôts retenu à la source « dans le cadre des travaux budgétaires et fiscaux de fin d’année ». Il apparaît néanmoins probable que cette mission sera laissée au prochain gouvernement issu des élections de juin 2009. La communauté financière ne s’attend d’ailleurs pas à court terme à autre chose qu’une suppression du droit d’apport et si tout va bien, la disparition de l’impôt sur la fortune pour les sociétés. Ce sera déjà ça de pris.

Véronique Poujol
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