Logements universitaires

L’autre défi immobilier de l’Université

d'Lëtzebuerger Land du 04.09.2008

600. Chiffre magique. D’ici 2012, date officiellement prévue pour l’ouverture des premiers bâtiments de la Cité des sciences à Belval, l’État veut également disposer de 600 logements d’étudiants sur le site ou dans les communes voisines. C’est énorme. Surtout en comparaison avec l’existant : une première résidence de douze chambres a ouvert ses portes rue Jean Jaurès à Esch en juin, la deuxième, de 18 chambres, rue Dicks, ouvre ce mois-ci. Reste 570 chambres à trouver, un chiffre toujours aussi impressionnant. « Il est vrai que nous sommes relativement impatients de voir évoluer les choses, » avoue Dominique Faber, la coordinatrice pour les questions ayant trait à la vie étudiante au ministère de la Culture, de l’Enseignement supérieur et de la recherche. 

Le nombre de 600 logements est en fait un ordre de grandeur et se base sur l’idéal de pouvoir offrir un logement à vingt pour cent des étudiants inscrits à une université. Vingt pour cent, parce que des statistiques allemandes sur cinquante ans avaient prouvé qu’en moyenne, entre douze et quinze pour cent des étudiants inscrits aux universités allemandes cherchaient à se loger par le biais des Studentenhilfswerke, en charge de la gestion du parc public – les autres se débrouillent sur le marché privé. Les premières projections tablaient sur quelque 3 000 étudiants qui, à moyen terme, suivraient les formations des deux facultés implantées à Belval. Cette ambition-là semble tout à fait réaliste : durant le semestre d’été 2007/2008, l’Université comptait 3 824 inscriptions dans les trois facultés, dont quelque 1 500 à la Faculté de droit, d’économie et de finance. L’ambition de trouver 600 logements en quatre ans par contre pourrait s’avérer un rien utopique. 

Il faut dire que dans ce domaine-là aussi, on est parti de (presque) rien à l’Université du Luxembourg. Avant la création de l’Université, en 2003, du temps du Centre universitaire, l’association Wunnraum fir Studenten gérait 117 logements étudiants répartis sur dix maisons, à Luxembourg et à Walferdange, près de feu l’Iserp. En 2003, parallèlement aux travaux législatifs créant l’Université, le gouvernement a pris un certain nombre de décisions dans le domaine, dont celle de confier désormais la gestion des logements étudiants directement à l’Université, qui l’a attachée au nouveau Seve (Service des études et de la vie étudiante), équivalent aux Crous français. Aujourd’hui, pour la rentrée académique 2008, Marc Rousseau, responsable du service logement étudiants, gère 260 chambres dans une vingtaine de maisons, à Luxembourg-Ville et à Esch. 

Son principe de gestion est simple :  premier arrivé, premier servi. En l’espace d’un mois, entre l’ouverture des inscriptions le 1er juillet et le 4 août, toutes les chambres étaient attribuées. Alors il ne lui reste plus qu’à conseiller aux nouveaux arrivants, qui peuvent encore s’inscrire à l’Uni.lu jusqu’au 19 septembre, de consulter les petites annonces dans les journaux, sur les tableaux noirs, sur Internet... de se débrouiller, quoi.

« J’aime à définir notre mission comme une gestion organisée de WG (Wohngemeinschaften, communautés d’habitation, ndlr.), » résume-t-il. Le principe en est simple : l’Université cherche à louer des maisons, de grandes maisons de préférence, celles qu’elle loue actuellement ont entre deux et 35 chambres. Elle les aménage selon les critères en vigueur – meubles, connexions télévision et Internet dans les chambres, cuisines communes ou kitchenettes, salles communes, buanderie – pour ensuite les sous-louer aux étudiants. 

Pour le propriétaire, ce système a l’avantage d’avoir un seul interlocuteur, fiable en plus pour ce qui est du payement du loyer. Pour les étudiants, il garantit flexibilité et organisation centrale. Les standards des chambres luxembourgeoises sont très élevés, elles font entre seize et vingt mètres carrés. Elles sont chères aussi : les loyers s’échelonnent de 200 à au-delà de 500 euros, selon l’équipement, l’état de l’immeuble et surtout la taille de la chambre, avec une moyenne à 350 euros. En comparaison : les prix des chambres que l’État luxembourgeois met à disposition des étudiants à l’étranger se situent entre 148 euros à Aix-la-Chapelle ou 178 euros à Liège à 660 euros à Paris. Le Centre de documentation et d’information sur l’enseignement supérieur (Cedies) estime qu’il faut compter entre 700 et 800 euros par mois pour vivre en tant qu’étudiant au Luxembourg, les loyers élevés étant compensés par la gratuité des transports ou les frais d’inscription très bas. 

Mais 800 euros par mois, c’est en gros un demi-salaire social minimum. « Un étudiant noir dépense en un an plus que toute une famille africaine en quatre ans. Le coût du loyer correspond au salaire d’un cadre moyen en Afrique, » se plaignait le président de l’association des étudiants noirs au Luxembourg, le Sénégalais Xavier Menga, vis-à-vis du site d’information Afrik.com en novembre dernier. L’ar­ticle s’intitulait « La galère des étudiants africains au Luxembourg » et fustigeait, entre autres, l’interdiction pour les étudiants de travailler au-delà de deux mois par an – interdiction qui a été levée avec la nouvelle loi sur l’immigration, adoptée en juillet par la Chambre des députés.

« Vous savez, moi, je pars du principe qu’un étudiant est pauvre par définition, estime Marc Rousseau. Nous ne prenons en compte aucun critère social dans l’attribution des chambres. D’ailleurs nous ne pouvons pas le faire. » Et d’ajouter qu’il essaye d’être juste et neutre, de ne juger que des critères objectifs. Ainsi, une réservation d’un logement est validée par le payement d’une caution de 350 euros plus le virement du premier loyer et se fait sur base de la demande d’inscription à l’université. En outre, le responsable du service logement tente de construire des communautés internationales et mixtes, de respecter les équilibres des formations – ne pas mélanger quelques doctorants avec une majorité de débutants par exemple –, de sexe, de nationalités. 

Les logements universitaires étant prioritairement réservés aux étudiants étrangers – seul dix Luxem­bourgeois y avaient droit en 2007/2008 –, les communautés peuvent être extrêmement hétéroclites, comme dans cette résidence de 23 chambres où trois Sénégalais côtoient un Allemand, un Grec. trois Chinois, etc – avec toutes les différences culturelles que cela implique. À l’exception de l’ancien Couvent des dominicaines au Lim­perts­berg, appartenant à l’État et accueillant 70 étudiants, et où une présence physique d’un concierge est assurée, toutes les autres maisons sont des unités autonomes, « des résidences d’habitation banales » comme le souligne Marc Rousseau, qui, en l’espace de cinq ans, n’a jamais eu de gros problèmes à gérer. Si ce n’est le non-respect d’une hygiène minimale ou d’autres pépins du genre.

Pour ces résidences d’étudiants, l’Université cherche des maisons à louer sur le marché, sans toutefois passer par une agence immobilière, ici, c’est le bouche-à-oreille qui prime, de plus en plus de propriétaires prenant même l’initiative de proposer leurs immeubles pour cette formule. Puis il y a une autre variante pour les étudiants, qui serait de loger chez l’habitant, en louant une chambre meublée. Toutefois, Marc Rousseau se mé­fie de ce marché au gris, peu struc­turé, sans aucune transparence, et où les prix sont tributaires de la concurrence d’organes internationaux comme ceux des communautés européen­nes ou les grands bureaux d’audits, dont les stagiaires sont également à la recherche de ce type de logement. Une assistante du Seve est actuellement en train de contacter afin de les réactiver, une centaine de personnes qui avaient déjà mis à disposition de telles chambres à l’Université. Néan­moins, difficile ici pour l’Université en tant qu’interlocuteur de s’engager soit pour le propriétaire – dont on ignore les motivations réelles – soit pour le sérieux de l’étudiant. Le projet « babouchka », qui visait à encourager de vieilles personnes à accueillir un étudiant chez elles en contrepartie de petits services domestiques, fut un échec.

Si, sur le territoire de la capitale, quel­ques nouvelles maisons viendront encore s’ajouter prochainement au parc existant, notamment deux maisons que la Ville de Luxem­bourg est en train de restaurer au Grund, les gros développements en la matière se situeront néanmoins désormais dans le Sud du pays. La trentaine d’étudiants qui logent désormais déjà à Esch et feront les allers/retours vers Luxem­bourg ou Walfer­dange pour quelques années encore, ne devraient pas rester seuls très longtemps.

En mai 2004, la ministre de l’Enseig-nement supérieur de l’époque, Erna Hennicot-Schoepges (CSV), et son homologue du ministère du Loge­ment, Fernand Boden (CSV) avaient invité tous les acteurs susceptibles d’être intéressés, que ce soient les administrations publiques, les professionnels de l’immobilier ou encore des propriétaires privés, à une conférence sur le logement étudiant afin de les motiver à participer à l’effort collectif de l’accueil des étudiants dans la cité. Quatre ans plus tard, les premiers grands projets se concrétisent enfin, que ce soit de la part de l’État ou du secteur privé. De la part de la main publique d’abord : le Fonds du logement, chargé par le gouvernement dès 2003, à intervenir dans la construction de logements pour étudiants, a prévu d’installer une quarantaine de chambres d’étudiants dans son projet urbanistique aux Nonne­wisen à Esch. À Sanem, l’État a acquis la maison de retraite afin de la transformer en foyer pour étudiants, mais doit attendre que le nouveau Cipa soit achevé pour que les locataires actuels puissent y déménager. Le programme pour le concours d’architecture pour la Maison des sciences humaines de la Cité des sciences prévoyait aussi des logements d’étudiants ; le Fonds Bel­val, maître d’ouvrage, est en train de sonder les différentes possibilités de gérer ce volet du projet – l’objectif étant toujours qu’au final, tous les logements soient gérés centralement par le Seve de l’Uni.lu. La commune de Mondercange a, elle aussi, pris une initiative pour le logement des étudiants et est en train de transformer une maison qui lui appartient et qui pourrait accueillir, dès la rentrée prochaine, une douzaine d’étudiants. 

Puis le gouvernement a encouragé les promoteurs immobiliers à s’investir dans ce secteur. Là aussi, les premiers projets sont en planification. Toujours à Esch par exemple, un promoteur privé prévoit d’installer, dans un grand complexe de logements privés, une centaine de logements d’étudiants sur deux étages. Le projet est à l’étude, mais les premiers contacts sont pris. Le ministère est aussi en train d’étudier un modèle de financement par PPP, partenariat public-privé, mais la mise en place de ces PPP est à la traîne. « Ce qui est certain, c’est que le ministère de l’Enseignement supérieur ne finance pas ces constructions, » rappelle Dominique Faber. L’État, par le biais du Fonds du logement, construit quelques entités, le bud­get d’investissement pluriannuel reprend une rubrique pour mémoire, sans y attribuer de montant. Mais pour ce qui est des investissements privés, le rôle du MCESR est de conseiller en amont et d’aviser les projets en aval. Ainsi, des critères minima ont été fixés pour ces nouvel-les constructions : les chambres doivent faire vingt mètres carrés, chacune doit avoir sa salle de bains avec douche, WC et lavabo, disposer de connexions à Internet et au téléphone, plus soit offrir une kitchenette individuelle, soit une cuisine par étage, une buanderie commune et des locaux où les étudiants peuvent se retrouver sont également à prévoir d’office. Une fois achevés, les projets qui correspondent à ces critères pourront être repris par l’Université du Luxembourg.

Mais le temps presse. Le projet de loi pour la construction de la Maison du savoir a été déposé début juillet et attend l’avis du Conseil d’État pour un vote qui, selon le président du Fonds Belval, Germain Donde­linger, pourrait intervenir d’ici la fin de l’année. L’objectif restant d’emménager à Bel­val en 2012. Les prochains textes légis­latifs, dont celui pour la Maison des sciences humaines avec ses logements, devraient suivre assez vite, leurs chantiers, moins complexes, achevés en pa­rallèle. L’année prochaine, le nou­­­veau gouvernement sorti des urnes en juin, devra également décider de l’avenir de la Faculté de droit, d’économie et de finance – ira-t-elle à Bel­val ou restera-t-elle à Luxembourg ?

Parallèlement, l’Université et le ministère essaient de sensibiliser les populations de Luxem­bourg et du Sud à l’arrivée de cette nouvelle communauté internationale que sont les étudiants – en 2007/2008, 45 pour cent des étudiants étaient non-Luxem­bour­­geois, treize pour cent de pays autres que les pays voisins ; en tout, il y avait des ressortissants de 76 nationalités différentes. Les Welcome Days organisés par l’Université et qui s’étirent sur un mois, entre le 19 septembre et le 20 octobre, visent à encourager l’échange en­tre les deux communautés. Et pourquoi pas, peut-être à motiver des personnes privées à accueillir des étudiants chez elles. « En tout cas, ce qui est certain, ajoute Dominique Faber, c’est qu’on ne peut pas construire une université sans étudiants et sans place pour les loger ». 

josée hansen
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