Exposition Trésors luxembourgeois 

Chasse au trésor

d'Lëtzebuerger Land du 19.05.2017

Tout a commencé par une question, récurrente, et pas seulement venant d’un grand public peu intéressé mais aussi de décideurs politiques : que faites-vous dans vos institutions culturelles à part les expositions ? Euh… répondait-on la bouche béante d’incrédulité et les bras tombés devant tant d’ignorance.

Puis ce fut au tour du ministre de la Culture Xavier Bettel (DP) de s’extasier devant les richesses cachées des collections des instituts culturels de l’État qu’on lui présentait en visite privée : « Il faut les montrer ! » a-t-il dit. Voilà l’origine de l’ambitieux projet autour d’éventuels « Trésors luxembourgeois ». « Ce n’est pas définitif », tempère Patrick Michaely, chef du service communication et relations publiques du MNHN / Naturmusée et commissaire désigné de la future exposition. « C’est pour l’heure un titre de travail, mais il n’est pas encore arrêté. Il va falloir expliciter le terme « trésor ». Si on l’utilise, la communication autour de l’exposition sera plus difficile aussi, on va créer un phénomène d’attente, une curiosité dans les esprits qu’il sera difficile d’assouvir. »

C’est que voilà, le trésor des uns ne ferait pas le bonheur des autres à première vue. Difficile de s’extasier devant une planche d’herbier de pissenlit… Et pourtant, et pourtant Patrick Michaely se met soudain à en parler avec ferveur, ses yeux pétillent. « Voilà cinquante ans qu’elle est dans nos collections au MNHN. Il s’agit d’une sous-espèce trouvée au Luxembourg par un botaniste luxembourgeois. C’était la première fois qu’un scientifique la décrivait et elle a reçu la dénomination de type ! C’est désormais une référence mondiale ! Pour peu qu’un chercheur au fin fond de la Chine décide de faire un travail exhaustif sur le pissenlit, il devra mentionner le Luxembourg grâce à cette planche ! ».

Des instituts culturels de l’État, il y en a sept depuis la réorganisation stipulée par l’article 1er de la loi du 25 juin 2004. Il y a les Archives nationales, la Bibliothèque nationale, le Centre national de l’audiovisuel, le Centre national de littérature, le Musée national d’histoire et d’art (et son Centre national de recherche archéologique adjoint depuis 2011), le Musée d’histoire naturelle et le Service des sites et monuments nationaux. Chaque institut a désigné un responsable pour l’exposition future qui travaille en interne à constituer un corpus d’œuvres. Au vu du nombre de départements au sein d’une même institution, c’est déjà tout un programme. L’exposition est prévue pour l’année prochaine, de mars à août 2018, dans le cadre de l’année du patrimoine culturel européen, dans les locaux du Musée national d’histoire naturelle. Selon Patrick Michaely, le lieu s’est imposé par sa taille (près de 600 mètres carrés de surface au premier étage du bâtiment dévolu aux expositions temporaires) et par sa disponibilité à moyenne échéance.

Restera ensuite, et c’est tout le travail à venir du commissaire, à procéder à une ultime sélection à partir des listes d’œuvres ainsi obtenues, en fonction de la place disponible et toujours avec le souci de représenter équitablement chaque institution autour d’un concept encore à préciser. Beaucoup de travail en perspective, qui ne semble pourtant pas effrayer outre mesure Patrick Michaely.

« C’est un challenge ! » se réjouit-il. « Pour nous tous ! Ce sujet est très vaste et permet beaucoup de diversité.  Les discussions avec les collègues sont tellement riches. Ce que nous souhaitons montrer, c’est ce que nous, professionnels des musées, estimons être des trésors. Et aussi par ce biais, notre manière de fonctionner en interne. Mais attention, il ne s’agit pas d’une simple promotion orchestrée de chacun des instituts. Ce n’est pas du tout l’objectif. Bien sûr, on expliciterait les activités de chaque institution, et tout le travail scientifique en amont qu’on ne voit jamais. Mais c’est surtout l’occasion de sortir des collections et des réserves des objets qui parlent vraiment bien du Luxembourg à travers les âges ».

Primus inter pares ? Le commissaire désigné parle toujours de lui comme faisant partie d’une équipe et explique très sobrement sa nomination : « On me l’a proposé, j’ai accepté. C’est plus facile d’organiser ce type de manifestation quand on sait le fonctionnement interne. Depuis le temps, on se connaît tous et ça facilite le travail. En outre, je connais les spécificités du lieu, ce qui fera gagner beaucoup de temps. »

Et puis il y a la passion du métier. Patrick Michaely en est convaincu, l’avenir est dans l’interdisciplinarité des institutions culturelles et il faudra absolument transformer l’essai de cette exposition inédite. L’enrichissement du propos muséal se fera en croisant les spécialités, à l’instar de la préhistoire qui est entre l’histoire naturelle et l’anthropologie. Ce type de lien existe entre toutes les institutions et Patrick Michaely se plaît à énumérer les exemples.

« À la Bibliothèque nationale par exemple, » – son regard s’illumine comme pour les pissenlits, « ils viennent d’acquérir une collection très rare de livres sur les orchidées, la fameuse Lindenia du botaniste du XIXe siècle Jean Linden. Or ce qu’on sait moins c’est qu’il est Luxembourgeois de naissance. Encore un lien entre les institutions culturelles qui explique notre histoire ! Nous sommes un petit pays, nous avons forcément moins qu’ailleurs, mais il y a pas mal de choses. C’est cela qu’il va être important de montrer au public. »

Pas d’or et de dorures alors ? Patrick Michaely n’est pas si catégorique. Les critères pour sélectionner les œuvres sont divers mais n’excluent pas la richesse et le spectaculaire. Il promet de beaux spécimens uniques de la réserve précieuse de la Bibliothèque par exemple. La représentativité, la rareté, l’importance pour l’histoire, la préciosité, l’esthétique et l’émotionnel détermineront le choix final des objets. Les contraintes techniques aussi bien sûr. Impossible de déplacer la mosaïque de Vichten du MNHA, de montrer l’autel de Dalheim ou de ramener au MNHN la Family of men de Steichen… L’exposition devra aussi trouver le moyen de raviver la curiosité des visiteurs et les renvoyer vers ces incontournables « trésors » luxembourgeois in situ.

On est prévenu, l’étonnant et l’incongru seront au rendez-vous de cette exposition prévue comme une mise en exergue du patrimoine luxembourgeois, du plus petit fragment d’os de dromadaire de l’époque romaine trouvé dans un puits à Mamer jusqu’au manuscrit le plus rare.

Romina Calò
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