SNCI

La bonne fée en action

d'Lëtzebuerger Land du 11.09.2008

Rares sont les projets d’entreprise, quels qu’ils soient, spectaculaires ou microscopiques, qui lui échappent. C’est désormais un réflexe. Tout chef d’entreprise avec des plans qui tiennent la route, dépose sa carte de visite auprès des dirigeants de la Société nationale de crédit et d’investissement et sollicite l’un des nombreux « produits » de la gamme de la banque publique : crédit d’équipement, prêt de démarrage ou à l’innovation, voire même une prise de participation. La palette de l’offre devrait encore s’élargir, pour faciliter notamment la reprise et la transmission d’entreprise, l’un des talons d’Achille de l’économie luxembourgeoise. 

La SNCI est donc à mille lieues de l’image qu’on lui avait volontiers collée de béquille pour les canards boiteux de l’économie, qui ont besoin de la main secourable de l’État. Elle ne se met (plus) au service des lubies technologiques de gens influents, pouvant s’offrir le sponsoring public d’un seul claquement de doigt et laisser derrière eux de retentissantes faillites. Il y a eu trop d’expériences douloureuses pour laisser les dossiers de financement au hasard. Une époque semble d’ailleurs révolue. La SNCI se montre désormais particulièrement prudente avant de supporter des projets et d’engager des fonds publics, même si l’argent ne lui manque pas depuis l’apport des 120 millions de l’État dans son capital il y a deux ans. Inutile de frapper à sa porte sans disposer au préalable un plan d’affaires économiquement viable ou porteur d’emplois stables.  Au risque de se faire envoyer ballader. 

La SNCI peut même montrer pas mal de flair dans le choix de ses protégés. Il lui est même arrivé de se pencher sur le berceau de jeunes pousses prometteuses de la « nouvelle économie » qui ont depuis fait pas mal de route à l’international. Les exemples font légion, bien que, soumis au secret, comme toutes les banques, l’établissement ne fournit pas les noms de ses clients. La seule piste qui laisse subodorer le « concours » de la SNCI est la liste que dresse le ministère de l’Économie et du Commerce extérieur dans son rapport annuel sur le développement et la diversification économique.    

Parce qu’elle avait participé au tour de table en 2001 et qu’elle a soutenu son développement à l’international, on sait par exemple que la SNCI a été la gentille marraine de Securewave, société spécialisée dans la sécurité informatique, devenue aujourd’hui sous le nom de Lumension après son rachat par l’Américain Patchlink, l’un des leaders mondiaux de son domaine. L’entreprise a également obtenu le soutien d’un des fonds de capital-risque de Mangrove, dans le capital desquels on retrouve d’ailleurs la banque publique, incontournable.    

L’établissement a aussi porté le projet de reprise d’Eurobeton, société mère de Chaux de Contern, dans laquelle elle dispose d’une participation de près de dix pour cent. 

Le palmarès de la diversification fourni par le ministère de l’Economie mentionne aussi le nom de Delphi, l’équipementier automobile de Bascharage dont les activités ont été reprises l’année dernière par le groupe belge Umicore après le désengagement de son actionnaire américain. 

On peut légitimement s’interroger sur le sort qui aurait attendu certaines entreprises insoupçonnables sans l’intervention de la banque publique qui, en trente ans d’existence, s’est constituée une trésorerie confortable de quelque 500 millions d’euros. Combien de SOS ont été lancés, de bouteilles à la mer jetées ? Les dirigeants de la SNCI refusent d’en parler. Tout comme ils ne détestent rien tant que de se faire amener sur le terrain très politisé du rôle que pourrait être amener à jouer la Société nationale de crédit et d’investissement dans la gestion des participations de l’État, dispersées entre l’État central lui même, la Banque et Caisses d’Épargne de l’État et la SNCI. Un peu d’ordre y serait sans doute le bienvenu. La question, qu’aucun gouvernement n’a encore voulu trancher, pas même lors de la cohabitation CSV/DP entre 1999 et 2004, est revenue sur la table cette année avec le dossier de la fusion plus que probable entre les opérateurs d’électricité Cegedel et de gaz Soteg avec SaarFerngas pour donner naissance à un « champion » régional de l’énergie dans lequel on retrouvera des acteurs aussi disparates que l’État luxembourgeois, Arcelor, E.ON, RWE et Électrabel.    

Seul commentaire que s’autorise le président du conseil d’administration de la SNCI, Gaston Reinesch, est de saluer un « dossier très bien fait » et « extrêmement difficile compte tenu de la dispersion des actionnaires et des intérêts des dirigeants ». Un dossier sur lequel il planche depuis trois ans. « Le ministère de l’Économie et du Commerce extérieur a fait un excellent travail », insiste-t-il. Manière de signifier, sans l’exprimer explicitement, qu’il n’est peut-être pas nécessaire de faire de grande réforme institutionnelle pour faire fonctionner la machine SNCI, plutôt bien huilée, ni pour défendre les intérêts de l’État et donc l’intérêt général. C’est le pragmatisme qui doit l’emporter sur les discours empreints d’idéologie le plus souvent ultra-libérale et qui sortent de la bouche des dirigeants d’entreprises dont on se demande ce qu’elles seraient sans les coups de pouce insufflés par la main publique, qu’elle s’appelle SNCI ou Spuerkeess. « Ce qui compte, insiste Gaston Reinesch, c’est le fonctionnement. Je veux que l’on nous juge sur notre travail. Évidemment, notre action n’est pas spectaculaire, il ne faut pas s’attendre de notre part à des happening ». 

Les discrètes équipes de la SNCI n’ont pas démérité. D’abord parce qu’il a fallu mettre en deux ans l’institution aux standards internationaux. La SNCI fonctionne comme une vraie banque avec ses contraintes réglementaires. Le passage aux normes comptables IFRS l’a obligé à mettre à jour l’ensemble de son système informatique. Un chantier plutôt « stressant », aux dires de ses dirigeants. Il n’empêche que sans le crier sur les toits, la banque publique a contribué au maintien et même à la création d’emplois dans les PME : 123 en 2007 grâce aux crédits d’équipement, selon le bilan dressé par le rapport annuel et 107 autres jobs supplémentaires grâce aux prêts au démarrage. 

Faut-il s’attendre à des changements structurels de la SNCI ? Le cadre légal, qui a permis la création de l’institution il y a trente ans, n’a pas encore montré ses limites et quelques ajustements ont été réalisés pour en améliorer le fonctionnement et élargir son offre, en autorisant notamment les crédits aux biens « incorporels » ainsi qu’aux terrains (2002). Le gouvernement n’a pas malmené non plus son bras financier en y injectant en 2006 une partie des plus-values tirées de la cession et de l’échange de ses titres Arcelor lors de la fusion avec Mittal Steel. 

Pourtant, le Premier ministre Jean-Claude Juncker n’a pas tenu toutes ses promesses. Celles notamment faite en 2005, puis réitérée en 2006, de transformer la SNCI en société de promotion de la diversification, en la rapprochant de l’office Ducroire et en donnant à son président une mission « d’analyse d’une meilleure gestion des participations de l’État ». Il n’y a jamais eu de mandat sur ce point. Mais personne, à part les membres du centre d’études prospectives (Cepros), une sorte de think tank composé d’hommes d’affaires et de hauts fonctionnaires qui s’est penché fin 2007 sur le rôle de l’État dans l’économie, ne s’en émeut vraiment. Pas même les dirigeants de la SNCI, qui auraient sans doute aimé être associés à la réflexion de ce cercle de gens bien pensants. L’essentiel étant ailleurs, dans l’action plus que dans les discours bien rédigés.  

La SNCI en chiffres :

La banque publique décline depuis deux ans dans ses rapports annuels la composition de son portefeuille de participations les plus significatives qui sont dans l’ordre alphabétique : Cargolux ; CD-PME, fonds de capital développement pour les PME dans lequel elle détient 50 p.c. ; Cegedel ; CTI (ex-Cleveland), le fabricant d’équipements de manutention a été « sauvé » par la SNCI qui en détient 100 p.c. L’entreprise affichait en 2007 un résultat net de 1,7 million d’euros. Groupe Eurobeton (Chaux de Contern, Tetris), 9,57 p.c. ; Luxcontrol, 22 p.c. ; LuxTrust, plate-forme de certification électronique dans laquelle, outre la SNCI qui en détient 22,2 p.c., on retrouve l’EPT, la Spuerkeess, Fortis et Dexia-Bil. Mangrove, les fonds de capital risque de cette société investissent dans les nouvelles technologies de l’information (ils furent le soutien de Skype). La SNCI y a investi cinq millions d’euros dont la moitié a été libérée. Paul Wurth, 19 p.c.; SES, 5,44 p.c. des droits économiques et 10,88 des droits de vote et Soteg. Le portefeuille coté en bourse (84,75 millions d’euros) compend 5 896 parts de Kioto Certificats Co2, 430 989 actions Mittal Steel, 302 829 titres RTL Group et 5,6 millions de certificats SES Global. La SNCI a octroyé un montant de 73,4 millions d’euros aux entreprises en 2007, principalement sous la forme de crédits à l’investissement (64,7 millions). La plupart de ses interventions se sont faites à travers des prêts à moyen et long terme (38,9 millions d’euros). La banque a par ailleurs accordé pour 25,8 millions de crédits d’équipement, dont plus de la moitié au secteur artisanal. Ses financements dans la recherche et le développement ont été limités à 1,9 million d’euros, contre 12,3 millions en 2006.

Véronique Poujol
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