Fraude fiscale

Pompon pour le fisc

d'Lëtzebuerger Land du 11.12.2008

Ce n’est pas tous les jours que la direction de l’Administration des contributions directes (ACD) voit ses décisions validées par la justice administrative dans une affaire d’escroquerie fiscale et de blanchiment présumés. Il n’est pas banal non plus qu’un dirigeant de société soit condamné, à titre de codébiteur solidaire, à payer les impôts d’une société dont il fut l’administrateur dé­légué. Ce n’est enfin pas chose courante qu’un service de révision du fisc luxembourgeois mette à jour et boucle jusqu’au bout une enquête de « dissimulation », et c’est un eu­phé­misme, de bénéfices à travers des sociétés offshore hébergées dans des juridictions échappant à tout prélèvement fiscal. La confirmation par le tribunal administratif, presque point par point, sans aucune réserve, du raisonnement du directeur des contributions, apporte également un éclairage qui n’est pas inutile sur l’étendue des pouvoirs de l’ACD.

Monsieur X est l’administrateur délégué d’une société anonyme Y du nord du pays, contrée qui a attiré une foultitude d’entrepreneurs du secteur financier, notamment dans la domiciliation et le montage de sociétés offshore. Juillet 2007, la société Y, ayant statut de professionnel du secteur financier, fait l’objet d’un redressement fiscal (impôt sur le revenu des collectivités et impôt commercial com­mu­nal) sur quatre exercices, de 1998 à 2001. Ce n’est pas tout : des rectifications interviennent aussi sur les bulletins de retenue d’impôts sur les revenus des capitaux. L’administra­tion, après enquête auprès d’une cinquantaine de clients de la firme, saisine de l’Administration de l’enregistrement et transmission de dossier au­près de la Commission de surveillance du secteur financier, est remontée sur six exercices, de 1998 à 2003. Le même mois et à un jour d’intervalle, X a le bonheur de recevoir un bulletin d’appel en garantie. La loi générale sur les impôts prévoit cette mise à contribution des dirigeants. Encore faut-il que dans le chef d’un administrateur délégué, il y ait faute et que l’ACD puisse la prouver. Sans quoi, seul un conseil d’ad­ministration dans son ensemble peut être appelé à mettre la main au pot. 

La légalité de ces redressements fiscaux, tirés à la mitraillette par l’Administration des contributions, est évidemment contestée. D’abord au­près du directeur de l’ACD, puis devant le tribunal administratif, lequel vient de rendre son verdict, en confortant la position du fisc. 

La défense de Monsieur X s’appuyait en premier lieu sur l’illégalité de la saisine du service de révision des contri­butions par le directeur de l’ACD, remettant ainsi en question ses pouvoirs à l’égard des préposés d’un bureau d’imposition. Avait-il le droit d’or­donner au service de révision une en­quête fiscale sur le professionnel du secteur financier (PSF), qui a « perdu » son agrément officiel en 2006 ? Oui, affirment les juges administratifs, pour lesquels il ne fait pas de doute que le directeur de l’ACD dispose d’un « pouvoir propre, susceptible d’être exercé sans rapport préalable d’une décision du service d’imposition ». Donc les pleins pouvoirs pour lui, alors que la défense arguait que seul un préposé a qualité à faire intervenir le service de révision dans un dossier ? Le tribunal administratif ne voit pas en quoi le directeur aurait ou­trepassé ses pouvoirs. Ce préalable po­sé, les juges ont donc pu examiner le fond du dossier qui a amené les enquêteurs du fisc à des redressements. 

Le mécanisme de dissimulation destiné à minorer les bénéfices du PSF est un classique. On fait intervenir des prestataires, situés dans des juridictions offshore, réputées être des paradis fiscaux, pour des services sans aucune réalité économique. 

Le directeur de l’ACD résuma ainsi les soupçons de ses agents :  les factures reçues des sociétés offshore (environ 3,5 millions d’euros pour les exercices 1999 et 2000) « sont de nature vague, imprécise et sans détails précis », écrit-il en parlant d’écritures comptables « à dessein opaques ». Pris de doute sur la réalité de ces prestations, le fisc réclame au PSF de lever le voile sur les bénéficiaires économiques. Refus de la société.

L’enquête de l’Administration auprès de « tiers » fit ressortir que Y recevait des commissions pour « apport d’affaires », lesquelles passaient par le biais d’une société holding, en violation des statuts des holdings relevant de la loi de 1929, lesquelles doivent se contenter de détenir des participations sans aucune gestion possible, au risque d’une perte de ce privilège. Dans une lettre, le directeur de l’ACD indique d’ailleurs « qu’une partie des commissions aurait servi à corrompre diverses administrations publiques et autres décideurs » et rappelle aussi les dispositions de la réglementation fiscale qui ne s’oppose pas à la communication de faits répréhensibles au Parquet. 

La juridiction administrative a en outre confirmé les vues du directeur de l’ACD au sujet de la responsabilité de l’administrateur délégué dans la réduction des recettes effectives pour ne déclarer que des fractions des bénéfices véritablement réalisés. Ce qui a permis au fisc d’invoquer les dispositions légales sur le codébiteur solidaire en qualité d’associé de Monsieur X et de ses fonctions permanentes de représentant légal du PSF. 

Rappelant que selon la loi générale sur l’impôt, le représentant légal d’une société, lorsque les droits du trésor ont été lésés, « ne peut être tenu personnellement responsable que dans l’hypothèse vérifiée d’un agissement fautif dans son chef », les juges administratifs n’ont pas mis en doute les assertions du directeur des contributions, malgré les faiblesses alléguées par la défense sur la qualité des preuves apportées par l’ACD. Les indices du comportement fautif ont visiblement suffi. « Il y a lieu d’admettre, à l’instar de ce qui a été retenu par le directeur, souligne le jugement du tribunal en paraphrasant un document du fisc, que Monsieur X, en sa qualité d’administrateur délégué, a activement contribué à réduire les recettes effectives de la société Y en ne déclarant que des fractions des bénéfices véritablement réalisés ». 

Les milieux d’affaires ne vont sans doute pas tous apprécier cette vision. Il faudra de toute façon attendre la confirmation par la Cour administrative, car appel du jugement a été interjeté.  

Véronique Poujol
© 2023 d’Lëtzebuerger Land