Économie solidaire

La belle

d'Lëtzebuerger Land du 19.03.2009

Polygone sàrl tient une nouvelle fois sa revanche sur les associations sans but lucratif dédiées à la réinsertion des demandeurs d’emploi sans qualification. Le tribunal administratif vient d’annuler une série de marchés publics relatifs à l’entretien des abords du réseau routier et autoroutier, qui avaient été attribués en décembre 2007 à des asbl comme Forum pour l’Emploi ou Perspectives Emploi. La juridiction administrative s’est montrée inflexible sur l’interprétation de la loi du 30 juin 2003 sur les marchés publics : ce cadre juridique ne permet pas aux associations sans but lucratif de présenter des offres, sous peine de distorsion de concurrence. Les juges ont repris presque mot pour mot les arguments imparables qu’avait déjà développé le 2 dé-cembre dernier la Cour administrative dans deux arrêts. Les affaires avaient également été introduites par Polygone, dont les dirigeants s’inquiétaient de voir un à un les petits marchés d’entretien de la voirie, qui étaient son fonds de commerce, lui passer à la barbe, impuissant de pouvoir aligner les tarifs et prestations de l’entreprise sur les prix pratiquées par les asbl dédiées à la réinsertion.

Le couperet était tombé le 11 avril avec une lettre du directeur adjoint des Ponts et Chaussées : Polygone avait une nouvelle fois été écarté des chantiers que le ministère des Travaux publics s’apprê-tait à lancer dans le cadre de « mesures d’accompagnement sur les chantiers de la grande voirie » au nom du développement durable et de la réinsertion sociale. Regroupées en associations momentanées, les asbl dédiées à la réinsertion remportent les soumissions.

Réaction immédiate de Polygone, qui avait saisi en juillet dernier le tribunal administratif, dans la foulée d’autres recours que l’entreprise avait déjà dépo-sés pour contester l’attribution par l’État des premiers chantiers d’entretien aux milieux associatifs. Les arguments de l’entreprise sont restés constants depuis le début : les dispositions de la loi de 2003 ne permettent pas à un pouvoir adjudicateur de passer un marché public de travaux avec un organisme public ou une entité n’exerçant pas une activité entrepreneuriale. Car les asbl de type Forum pour l’Emploi font l’économie des autorisations qui sont requises pour les entreprises « ordinaires ». Bref, une asbl, en raison de sa nature juridique, n’est pas habilitée à « s’occuper pro-fessionnellement » de l’exécution de travaux et de prestations de ser-vices pour lesquels elle a pourtant remporté les soumissions publiques. 

L’avocat de Polygone relèvera en outre une autre anomalie du dossier : l’écart de prix de plus de quinze pour cent entre le premier et le deuxième sortant d’une des soumissions litigieuses n’a pas fait l’objet d’une analyse de prix comme la réglementation le prévoit d’ordinaire pour trouver une explication lorsque certaines offres se révèlent substantiellement inférieures aux autres propositions. Il est vrai qu’il n’y a pas photo lorsque les asbl s’attaquent aux marchés publics : lorsque les employeurs du secteur privé se voient accorder un remboursement de cinquante pour cent des indemnités brutes versées aux ouvriers, les employeurs du secteur public, et donc les associations sans but lucratif, bénéficient d’une indemnité brute de 85 pour cent. De plus, les frais de fonctionnement des asbl ont droit à un coup de pouce supplémentaire dans le cadre notamment de la mise en œuvre de conventions de coopération avec le ministère du Travail et de l’Emploi. Sans que l’efficacité, en termes d’employabilité, de cet arrosage public n’ait jamais pu être prouvée. 

Les juges du tribunal ont repris à leur compte l’argumentation qu’ils avaient déjà développée dans les premières affaires de marchés publics attribués à des asbl, arguments qu’azvaient ensuite affinés leurs confrères de la Cour administrative : « Admettre la mise en concurrence de soumissionnaires exerçant leurs activités professionnellement avec des soumissionnaires qui ne sont pas soumis aux contraintes afférentes revient inévitablement à remettre en cause l’exigence d’égalité des soumissionnaires, ce qui est contraire à l’essence même des soumissions publiques ». De plus, ont rappelé les juges, « le fait même de l’absence de but lucratif avec la possibilité corrélative de produire et de travailler à des prix défiant toute concurrence, place les asbl dans une situation privilégiée et anti-concurrentielle par rapport aux entreprises commerciales et industrielles ». 

Véronique Poujol
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